
Woodkid. Un contrat à long terme avec le public montréalais. Photo courtoisie FIJM/Victor Diaz-Lamich.
Les parcours d’une salle à l’autre durant les festivals, ce n’est pas rare. Mais d’ordinaire, je garde ça pour le premier week-end. En déficit de spectacles en raison de FrancoFolies empreintes de problèmes de logistique (c’est ma faute), on a transformé cette première journée officielle en grosse – et magnifique – virée.
Par Philippe Rezzonico
Remarquez, ma logistique, elle a encore fait défaut en début de soirée. Suis arrivé un peu tard au Gesù où se produisait Harry Manx, accompagné de Charlie Hunter, dans la première de ses trois soirées sous l’appellation Guitar Bazaar.
Doigté fluide et précis, touche chaleureuse, sourire à faire fondre un iceberg et anecdotes savoureuses : voilà la recette de Manx qui a pris un réel plaisir à communiquer avec les spectateurs et converser avec son invité.
Converser comme dans conversation… mais à deux guitares. Harry qui amorce une chanson ou un thème, Charlie qui le suit. On jase, on dialogue, on se complète, ici et là, au hasard des The Thrill is Gone ou autres Spoonfull. Tout baigne.

Harry Manx et Charlie Hunter: ambiance, complicité et formidable conversation entre deux guitaristes. Photo courtoisie FIJM/Frédérique Ménard-Aubin
Comme dit Manx en s’adressant à Hunter : « C’est magnifique, cette conversation. Tu me suis et tu me réponds, alors que je ne sais pas exactement où je veux aller. »
Le sourire de Hunter voulait tout dire.
L’improvisateur Lanois
À la salle Wilfrid-Pelletier, on change de guitares et d’artistes, là où l’on retrouve Daniel Lanois flanqué de Brian Blade, Jim Wilson, le trio étant accompagné de Trixie Whitley (ce soir au Club Soda) et d’Emmylou Harris.
Ce qu’on ne savait pas, c’est que nous étions conviés à une séance de cinéma où Lanois nous présente des images, des bouts de films amateurs et des nouvelles compositions instrumentales qui seront le corpus de son prochain projet, The End.
Le tout dure un bon quart d’heure et je ne me sens pas attiré outre mesure par la proposition, qui a néanmoins le mérite d’être une belle rampe de lancement au spectacle lui-même, quand Lanois nous gratifie d’une de ses envolées langoureuses de slide et que Blade vient le soutenir à la rythmique.
Lanois, c’est le jazzmen de la guitare. Pas du tout au plan stylistique, mais complètement au plan de l’esprit. Ce type improvise et adore quitter les sentiers battus. Avec Blade et Wilson, nous sommes en voiture. On bifurque à droite, on tourne à gauche, on marque un temps d’arrêt et, nous, on se laisse porter et même emporter.
L’arrivée de Trixie Whitley, que l’on avait déjà vue lors du spectacle Black Dub de Lanois au FIJM, il y a quatre ans, dynamise encore plus le trio. La belle Trixie a changé de look et de coiffure, mais cette voix perçante et mystérieuse nous happe toujours autant. Et comme la longiligne dame sait aussi jouer de la batterie, cela mène à des séquences à couper le souffle avec Blade.
Son interprétation de Surely démontre, en trois minutes, tout ce qu’une bonne chanteuse tout faire : mettre ses tripes sur la table, sans fard, mais sans excès inutiles non plus. Quand tout ce beau monde a interprété Last Time – inspirée de This is the last time, des Stapple Singers, qui a servi de base de travail à Jagger et Richards pour The Last Time -, nous étions tous pleinement heureux.
Après le départ de Trixie, Lanois enchaîne avec The Collection of Marie Claire – plus crasseuse que d’ordinaire – et Jolie Louise. C’est là que je tire ma révérence. Oui, je vais rater Emmylou, mais cette partie du show, je l’ai déjà vue.
Cécile
Parcours, je vous disais… Donc, arrivée à l’Astral tout juste à temps pour le début du spectacle Cécile McLorin Salvant, qui a charmé la planète avec son chant et les compositions du disque Woman Child. En effet, pourrait-on ajouter.
La chanteuse est femme et enfant, tout à la fois. Enfant, avec son sourire espiègle, ses lunettes blanches et une attitude presque gênée : « Je parle tout le temps français? Ça va? » Oui, lui assure-t-on.

Cécile McLorin Salvant: une voix, une attitude, une présence. Photo courtoisie FIJM/Victor Diaz-Lamich.
Femme, par ce registre vocal qui n’appartient qu’aux grandes. McLorin Salvant peut naviguer dans un registre aussi bas que celui d’un Louis Armstrong et enchaîner aussitôt avec une envolée d’une limpidité phénoménale. Elle est parcimonieuse de ces effets de voix, mais avec elle, chanter, c’est du sérieux.
Que ce soit des standards comme Yesterday’s, des chansons oubliées comme celle de Bert Williams, I Ain’t Never Got Nothing From Nobody (1905) où elle fait presque du théâtre, et avec So in Love, de Cole Porter, dont l’interprétation va nous rester longtemps en mémoire.
Woodkid en plein air
On quitte Cécile à regret et on contourne l’îlot Balmoral au moment où l’on entend le premier appel sonore du concert de Woodkid, qui habitué des scènes montréalaises depuis la présentation de son spectacle au FIJM l’an dernier.
Cette fois, le Français, Yohann Lemoine, de son vrai nom, tentait de reproduire le spectacle avec projections offert deux fois au Métropolis ces derniers mois : une commande de taille lorsque l’on livre une performance en plein air devant plus de 30 000 personnes.
Il le faisait néanmoins avec un jeu de lumières souvent somptueux (splendide faisceaux de lumières qui balayaient la nuit montréalaise) et un ajout substantiel de musiciens.
Il y a quelque chose de sombre et de lumineux dans les chansons de Woodkid. Un degré d’intensité perceptible au sein de compositions qui peuvent être émouvantes à l’écoute, notamment Where I Live, liée à sa mère.
À la Place des festivals, il y a avait aussi un aspect majestueux à cette prestation. Il était remarquable de voir à quel point les spectateurs écoutaient avec dévotion cette proposition artistique hors de l’ordinaire, qui aurait peut-être fait naufrage si elle était demeurée livrée sur le même ton.
Avec une seule nouvelle chanson à nous présenter, Woodkid était aux prises avec certaines limites, mais il a su majorer son offre. Plus le spectacle avançait et plus les tempos s’accéléraient. Les tambours militaires ont particulièrement fait mouche dans le contexte.
La dernière demi-heure fut une fiesta de rythmes effrénés avec l’enchaînement de Volcano, The Great Escape et Run Boy Run. La juxtaposition des tambours, des cordes et des cuivres était exceptionnelle. Tout ce qui était vivant au centre-ville de Montréal sautait et vibrait à l’unisson.
Durant une vingtaine de minutes, Woodkid fut le Stromae du Festival de jazz. Aucun être humain normalement constitué n’aurait voulu être ailleurs tant le bombardement sonore et visuel était phénoménal. Frissons.
Et c’est après cet enchaînement, quand Woodkid a voulu prendre la parole, que la foule, spontanément, a repris la ligne mélodique de Run Boy Run. Et que les musiciens ont relancé la chanson. Et que Woodkid a hurlé : « Encore une fois! » Et que le temps s’est arrêté.
Quand il a versé quelques larmes, visiblement ému, Woodkid savait – comme – M – et Stromae avant lui -, qu’il venait de signer un contrat à très long terme avec le public de Montréal.