FIJM, Jour 6: cire chaude

Wax Tailor. Attention, chaud devant. Photo Victor Diaz Lamich/Courtoisie FIJM

J’étais sceptique. Et cela n’a rien à voir avec le talent de Wax Tailor. Sceptique parce que si les DJ sont rois et maîtres dans des clubs surchauffés, c’est une autre histoire que de maintenir le niveau d’intérêt en plein air durant 90 minutes face à des dizaines de milliers de personnes. D’autant plus vrai quand le grand public n’a à peu près aucune idée du genre de musique que tu proposes.

Par Philippe Rezzonico

Je devais aller voir le nouveau quartette du guitariste Kurt Rosenwinkel au théâtre Jean-Duceppe quand je me suis dit que j’allais partager la soirée, comme je l’ai fait vendredi dernier avec Ravi Coltrane et Feist. Sauf que j’allais cette fois amorcer le parcours sur la place des Festivals à 21h30 plutôt qu’au théâtre Jean-Duceppe. Finalement, Rosenwinkel m’attend encore…

Il m’a bien eu, le Wax. Dès le moment où les premières notes ont retenti sur la place des Festivals qui affichait complet, je n’ai plus regardé ma montre jusqu’à la fin, preuve incontestable de l’intérêt du spectacle de Jean-Christophe Le Saoût (de son vrai nom) et de ses collègues.

Il faut quand même admettre que Wax Tailor est bien plus qu’un DJ. Sa musique, il la transpose aussi dans le médium de l’image et cet élément a été exploité à profusion sur l’écran placé derrière lui et sa console. Animation à la Gorillaz, films d’auteurs d’une autre époque, visuel coloré ou en noir et blanc : presque toutes les chansons ou instrumentales offertes avaient droit à un support visuel.

Charlotte Savary. la voix féminine dominante de Wax Tailor. Photo Frédérique Ménard-Aubin/Courtoisie FIJM

C’est toutefois au plan vocal que Tailor était le mieux nanti. Avec les chanteuses Charlotte Savary, Voice, Jennifer Charles, ainsi que le rappeur Mattic et le groupe A.S.M. (A State of Mind), le Français avait tous les artistes voulus sous la main pour offrir un spectacle pas linéaire pour un sou, peu importe s’il versait dans le trip-hop, le hip-hop ou l’électro.

Outre ses tables tournantes, Tailor avait une deuxième brigade pour soutenir la première. Quand Savary interprétait Dusty Rainbow comme si Beth Gibbons nous chantait du Portishead, ou qu’elle groovait de façon sensuelle durant Seize the Day, en y allait d’inflexions vocales à la Vanessa Paradis, les cordes électriques (violon et violoncelle) et la flûte traversière faisaient merveille.

Même chose quand Savary s’est offert ce qui ressemblait à un duel vocal avec Mattic durant Fireflies. Ce sont toutefois les tables tournantes, les échantillonnages et la basse qui ont été prépondérantes quand Mattic et A.S.M. se partageaient des titres qui faisaient trépigner la foule (The Sound, Positively Inclined).

Green T, de A.S.M., en duo avec Mattic avec la bande de Wax Tailor. Photo Frédérique Ménard-Aubin/Courtoisie FIJM

En toute justice, il y avait une belle ironie quand les rappeurs ont chanté Magic Numbers (dynamique) durant laquelle on les entendait scander « 1! 2! 3! 4! »… Finalement, les mêmes chiffres que Feist a refusé de nous offrir vendredi dernier.

Le grand mérite de Tailor est de n’avoir jamais perdu de vue qu’une foule nombreuse le regardait. Constamment en contact avec les spectateurs par son regard retransmis sur les écrans, avec ses interventions et par sa gestuelle, Tailor a été le complément idéal à son œuvre sonore et visuelle qui tend vers une forme cinématographique.

Le public, à priori curieux, l’a bien senti et a suivi Tailor jusqu’au bout. En dépit de passages atmosphériques et ambiants qui auraient pu mener au décrochage, l’intérêt a été maintenu.

Il fallait entendre la foule chanter Que sera, ou voir la marée de mains en finale durant Say Yes, quand les beats lourds, les cordes et les cuivres du trio montréalais (qui comprenait notamment Luc Lemire) ont balayé la rue Jeanne-Mance.

Wax Tailor: un succès musical, critique et public. Photo Victor Diaz Lamich/Courtoisie FIJM

Un grand événement audacieux qui a fait mouche en raison d’un public curieux qui a été charmé par un collectif inspiré et un meneur de jeu talentueux qui n’a pas cessé de dire à quel point il était heureux et privilégié d’être là.

Désolé Kurt…