Mon parcours de la dernière journée du 38e Festival de jazz pourrait se résumer à ceci : c’était la journée des Nations Unies.
Par Philippe Rezzonico
Comment pourrait-il en être autrement quand tu amorces ton parcours à 15 heures, lors de la matinée de Pink Martini?
Fidèle à son habitude, le collectif de l’État de l’Oregon aux origines diverses a interprété des chansons dans plusieurs langues : anglais, français, portugais, espagnol, arménien, allemand, turc… Depuis sa fondation il y a 23 ans, ce groupe représente tout ce qu’on aime le plus d’un ensemble vraiment international.
Et comme la chanteuse China Forbes, le pianiste Thomas M. Lauderdale et le chanteur percussionniste Timothy Nishimoto s’expriment tous en français, les spectateurs ont eu droit aux genèses et au sens des chansons, lorsque interprétées dans une langue vraiment pas connue de la majorité du public.
Je ne sais trop si le fait que le groupe a franchi dernièrement le cap des 20 ans de carrière y est pour quelque chose, mais la prestation ressemblait furieusement à une rétrospective de grands succès : Sympathique, Amado Mio, Donde Estas Yolanda?, Brazil, Hang on Little Tomato, Hey Eugene, toutes tirées du trio de premiers disques étaient au menu.
Forbes affiche toujours une impeccable classe vocale et stylistique, Lauderdale laisse toute la place voulue à Gavin Bondy (trompette), Robert Taylor (trombone), Nicholas Crosa (violon) et Miguel Bernal (chant, percussions). On a même eu droit à une participation de Meow Meow, chanteuse burlesque qui a interprétée une version vaudevillesque de Ne me quitte pas avec deux spectateurs et À quoi ça sert l’amour?
Et comme d’habitude, des dizaines de spectateurs sont venus danser sur la scène à l’invitation du groupe durant l’instrumentale The Flying Squirrel. Et on parie que cela a été aussi réussi en soirée.
Le maître Tony
Pourquoi aller à Pink Martini à 15 heures? Parce que je voulais aller voir le Nigérian Tony Allen en soirée au Monument-National. Le batteur qui a mis au monde le son de l’afrobeat verse désormais dans le jazz. À 76 ans, il a le droit de faire ce qui lui plait.
Et comme l’essentiel du programme se voulait un hommage au légendaire Art Blakey, pas question de rater ça. Entendons-nous, Allen n’est pas un batteur de jazz. À la limite, uniquement la position de ses mains sur ses baguettes – très haut et non pas au bout de ces dernières – l’empêche de «rouler» comme le faisait un Blakey à ses beaux jours.
Donc, une belle force de frappe, nette, un jeu rafraîchissant qui donnait un souffle nouveau aux Moanin’, A Night In Tunesia et autres, mais pas la fluidité exemplaire de Blakey. N’empêche, avec le pianiste Jean-Philippe Dary, le contrebassiste Mathias Allamane et le saxophoniste Irving Acao, Allen était en voiture.
Le quartette a même eu droit au concours de la trompettiste québécoise Rachel Therrien qui, étonnamment, s’est présentée sur scène en provenance du parterre et non des coulisses, lorsque invitée à se joindre au groupe.
Pourquoi, me demandais-je? Tout simplement parce qu’elle a su qu’elle allait participer au spectacle… une demi-heure avant celui-ci. Invité par Acao – elle a une filiation indirecte avec lui -, elle ignorait même sur quelles instrumentales elle allait jouer, ce qu’elle m’a confirmé quand j’ai été lui poser la question en coulisses après le spectacle.
Et elle s’est fichtrement bien tirée d’affaires. Tellement bien, en fait, que Allen lui-même lui a fait signe de saluer à ses côtés au terme du rappel. L’improvisation jazz à son plus haut niveau.
Et on a fini ça avec l’Américain Anderson .Paak et des milliers de personnes en liesse. Les Nations Unies, disais-je. Unies par la musique.