Francos 2013, jour 9: le marathon

Louis-Jean Cormier au Métropolis. L’un des moments marquants des 25e FrancoFolies. Photo ULB/Courtoisie FrancoFolies de Montréal

Pas moyen d’y échapper. Au moins une fois durant un festival, le nombre d’artistes que l’on veut voir se disputent des plages horaires similaires. Pas le choix. Ou bien tu acceptes d’emblée de ne voir que des portions de prestations, ou bien tu décides de faire impasse sur des spectacles.

Par Philippe Rezzonico

Pas question de faire impasse sur quiconque dans le dernier droit des FrancoFolies. Bref, marathon en vue. Prêts à suivre le guide? 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1… C’est parti!

18h00 : Salle de presse pour siffler un énorme allongé. J’ai l’air d’un extra-terrestre autour des professionnels de l’industrie qui en sont tous à l’apéro, mais un marathon, ça se fait tout éveillé.

18h15 : Face à la grande scène de la place des Festivals pour voir une Isabelle Blais dans une forme vocale étonnante. Le répertoire du nouveau disque de Caïman Fu, À des milles, permet au groupe d’afficher une solide cohésion et de retravailler joliment les arrangements des chansons d’antan.

La chanteuse-comédienne donne, plus que jamais, la pleine mesure de son talent, que l’on a pu mesurer dans divers registres (Fou, Kiki), mais aussi, avec une livraison vocalement explosive de Joli minois. Prochaines escales pour Caïman Fu, les FranfoFolies de La Rochelle et de Spa.

19h00 : Au Club Soda pour Joseph Edgar, qui s’acquitte de la première partie des Sœurs Boulay. En trio, les deux guitares, la contrebasse et l’occasionnel tambour enrobent les chansons de l’Acadien de cette enveloppe sonore folk réconfortante. On écoute Joseph parler du Retour de Bill, tomber en amour avec une espionne russe et nous amener sur les Chemins connus, mais on sent que la foule qui remplit le Club Soda à ras-bord n’en peut plus d’attendre l’arrivée des sœurs Mélanie et Stéphanie Boulay.

20h00 : Elles arrivent, seules, et mettent tout le monde dans leur poche avec les interprétations de Lola et Mappemonde. Voix en sublimes harmonies, tessitures complémentaires, complicité toute naturelle, ces deux-là sont faites pour être sur une scène et chanter quelque chose qui ressemble au bonheur.

Pour l’occasion, elles étaient accompagnées de deux musiciens. Jason Bajada est aussi venu magnifiquement colorer à l’harmonica une livraison splendide de Ôte-moi mon linge, qui est l’équivalent contemporain du Déshabillez-moi de Juliette Gréco, quoique dans un ton tellement différent.

Les Soeurs Boulay. Le triomphe. Photo Frédérique Ménard-Aubin/Courtoisie FrancoFolies de Montréal

Émues parfois aux larmes, les frangines font rigoler en évoquant les virées de ski-doo avant de chanter T’es pas game, et encore plus en interprétant Windshield, où l’on saisit que lors des soirs d’orages, l’une ou l’autre a le goût « estampiller la face » de l’autre dans le pare-brise.

Elles sont toutefois poignantes avec Au cœur de filles et carrément renversantes avec l’interprétation de The One I Love Is Gone, de Bill Monroe. On se fiche qu’il s’agisse d’une chanson en anglais… Entendre cette perle du type qui a composé Blue Moon of Kentucky – reprise par un certain Presley – en 2013, et surtout, de l’entendre interprétée de cette façon, était une félicité sans nom. Triomphe.

20h50 : En direction de L’Astral, on stoppe dix minutes devant l’esplanade de la PdA pour entendre les deux dernières chansons d’Axelle Red, pas venue à Montréal depuis 13 ans. Offertes en mode acoustique, les refrains de Sensualité et Je t’attends ont été repris au vol par la foule nombreuse. Était-ce aussi bon lors des 50 premières minutes? Je l’ignore, mais mon timing était parfait.

Axelle Red; un retour après plus d’une décennie d’absence. Photo Frédérique Ménard-Aubin/Courtoisie FrancoFolies de Montréal.

21h00 : Cinquante mètres plus loin, on assiste au lancement – c’est le mot – du spectacle extérieur de Radio Radio sur la place des Festivals. Le thème du show : Radio Radio pour les Dummies. Avec les projections, les titres de chansons et des paroles qui apparaissent sur les écrans, c’était l’occasion de faire connaître à ceux qui ne connaissaient pas ce redoutable trio. Et l’ouverture avec Galope a donné le ton.

21h10 : Arrivée à L’Astral alors qu’Amélie Veille est à un tiers de sa prestation. En voix, en beauté et en aisance. La – toujours – jeune femme qui célèbre néanmoins 10 ans de carrière cette année a partagé son tout de chant entre titres d’antan (Si par hasard), tubes du moment (Mon cœur pour te garder) et classiques de la chanson française (Fais-moi une place, Besoin de personne, Je reviens te chercher).

Et elle ne joue pas le jeu de l’imitation quand elle interprète Bécaud, Reggiani ou Véronique Sanson. Elle est d’ailleurs la seule artiste sur mon parcours des FrancoFolies à avoir évoqué Georges Moustaki, récemment disparu, à qui elle a rendu hommage en chantant Sans la nommer. Très bien.

21h40 : Retour à l’extérieur sur la place des Festivals qui est désormais bondée. Radio Radio est d’ailleurs en mode crescendo : « One, deux, three, quatre! » Boomerang, Jacuzzi, Lève tes mains en l’air, Guess What? Un autre 20 minutes festif au possible durant lequel on bouffe un hot-dog. Dîner à 16 heures, c’est un peu juste avant un marathon…

Radio Radio. Une autre grande virée extérieure aux FrancoFolies. Photo ULB/Courtoisie FrancoFolies de Montréal

22h05 : On se point juste à temps au Métropolis, au moment où les lumières s’éteignent et quand Louis-Jean-Cormier et ses musiciens interprètent une chanson « inédite », Si tu reviens, dans la loge. Chanson retransmise sur les écrans du Métropolis qui déborde d’amateurs. On sait déjà que ce spectacle ne sera pas ordinaire.

En fait, il fut un peu ce que Cormier espérait : « Pourquoi pas s’offrir à soir au Métropolis la soirée de sa vie? » Ce Métropolis auquel il s’adressait comme une personne, cette salle de spectacle que Cormier a rebaptisé « Métropauline », référence directe aux événements du 4 septembre 2012, quand Denis Blanchette, un technicien, a été tué alors que la première ministre du Québec était dans la salle.

Soirée amorcée – cette fois sur la scène – avec un triplé (La cassette, Bull’s eye, Transistors) remuant à la puissance dix. Bon dieu que Louis-Jean peut-être générer une puissance rock aussi massive que celle du temps de Karkwa…

Mais la surprise, c’est de voir à quel point les 3000 personnes massées dans le «Métropauline» connaissent désormais son répertoire par cœur. J’haïs les happy ends et Le cœur en téflon se sont transformées instantanément en sing-along.

Salomé Leclerc, Les Soeurs Boulay, Louis-Jean Cormier et Martin Léon. Communion. photo ULB/Courtoisie FrancFolies de Montréal.

Ce chœur collectif est redevenu un chœur sur scène quand, tour à tour, Les Sœurs Boulay (pour Les chansons folles), Dany Placard et David Marin (pour L’ascenseur), Salomé Leclerc (pour Échapper au sort, de Karkwa) et Martin Léon (pour Un monstre) se sont joints à Cormier et ses musiciens pour des interprétations douces, intenses et sensibles, offertes dans un silence jamais entendu au Métropolis.

Chaque nouvel invité était suivi d’un autre, sans que le ou les précédents ne quittent la scène. La chorale humaine grossissait à mesure que l’excellent spectacle devenait peu à peu un événement majeur dans l’histoire des FrancoFolies.

Cormier s’est tout permis : refaire d’autres chansons de Karkwa (L’épaule froide), du Félix (vivifiante relecture de Complot d’enfants) et du Miron (La route que nous suivons). Tout était juste et de bon ton dans ce spectacle qui tenait à la fois de la communion et de la consécration d’une génération.

Le choeur de Louis-Jean Cormier au Métropolis. Photo ULB/Courtoisie FrancoFolies de Montréal

Et quand Cormier a conclu sur le coup de minuit avec La seule question, il était clair qu’à l’interrogation « Crois-tu qu’on s’aime encore…fort?», le public aurait pu répondre; « Louis-Jean. On va t’aimer pour la vie. »

Des marathons comme celui-là, n’importe quand.