
Bénabar: des cuivres, des guitares et une énergie folle. Photo courtoisie FrancoFolies/Victor Diaz Lamich.
J’en avais glissé un mot durant l’entrevue réalisée face-à-face deux jours plus tôt : je n’avais vu aucune de ses performances sur YouTube et je n’avais pas recherché la sélection de chansons de sa tournée européenne (Anyway, les journalistes n’en ont pas reçu vendredi…) Je voulais que cette première présence sur scène de Bénabar à Montréal soit pour moi une découverte absolue. Plaisir décuplé et électrochoc total, faut admettre.
Par Philippe Rezzonico
Les chansons, ça oui, je connaissais. Ça fait des années que j’écoute ses disques en maudissant sa phobie de l’avion qui nous a privé de sa présence chez nous à maintes reprises au cours des ans. Et il y a deux ou trois titres que j’espérais entendre impérativement.
Mais dès que Bénabar et ses neuf musiciens et choristes ont pris d’assaut – c’est le mot – la scène du Métropolis vers 21h45 vendredi, j’ai compris que l’intérêt était ailleurs. Bénabar en personne, c’est le cumulatif de six ou sept décennies de variétés françaises résumées en une production où jamais la musique contagieuse et effervescente ne fait ombrage aux textes séduisants et grinçants.
Véritable dynamo sur scène, ce Bénabar. En raison de son physique svelte de jeune premier, il fait penser à un Claude François plus dynamité que le Clo Clo d’origine et il possède une voix au phrasé impeccable qui porte toutes les nuances de ses mots et de ses observations parfois décapantes du quotidien.
Avec deux choristes féminines de format géant – remarquez, c’est Bénabar qui est petit – qui apportent une dose de soul et un groupe qui s’inspire autant des big bands de Chicago, des ensembles de fête foraine d’Europe que des Dixeland de La Nouvelle-Orléans, nous sommes en voiture avec ce gros son d’ensemble, cette folle énergie et les cuivres pétaradants.
Avec une telle mixture, c’était gagné d’avance face à un public qui – contrairement à moi – avait vécu l’expérience de scène Bénabar à Québec en 2005 ou quelque part en France ou en Belgique lors de la dernière décennie. Fallait voir le sourire éclatant du chanteur quand la foule a commencé à chanter à l’unisson la plupart des refrains et même des couplets entiers de ces anciens titres comme Quatre murs et un toit.
Impensable décalage
A l’inverse, quiconque n’ayant jamais vu le monsieur sur les planches ne peut être que renversé par le décalage studio/scène. Les chansons de tous les artistes sont plus dynamiques sur scène, c’est su et connu. Mais avec Bénabar, on ne passe pas à l’étage supérieur : on monte carrément du rez-de-chaussée au sommet du gratte-ciel.
Le classique des colocataires amoureux, Y’a une fille qu’habite chez moi, battait la mesure à 100 à l’heure ; Maritie et Gilbert Carpentier, chanson hommage aux émissions de variétés françaises et au Music Hall, était explosive ; Dis lui oui baignait dans les effluves jazz pimpantes ; tandis que Le Dîner avec sa phrase fédératrice « On s’en fout, on n’y va pas !» était de l’ordre de la déflagration.
Là, nous n’étions plus au Métropolis, mais quelque part dans une salle de France avec un Bénébar qui sautait comme un beau diable. Référence québécoise : Imaginez les Cowboys Fringants chanter La Manifestation.
En spectacle, Berceuse – chanson ou un papa se fait suer à tenter d’endormir son mioche – prend des allures théâtrales au possible. Et que dire de À votre santé qui a bénéficié d’une notion de placement de produit. Placé à l’avant-scène, le groupe a utilisé des seaux, une boîte de céréales (?) et une échelle (!) comme instruments. Mais pas de casserole….
Bénabar a expliqué qu’il fallait bien payer l’avion. Bref, à la chanson joviale, on a intégré les slogans de restos populaires du Québec. Fallait entendre Bénabar chanter : « Pout, pout, pout, St-Hubert BBQ ! » Hilarant. Ça, c’est un artiste qui sait s’adapter au pays dans lequel il joue.
Et au lieu de miser à fond sur son nouveau disque – Les bénéfices du doute – paru au Québec cette semaine, il a, au contraire, fait plaisir à ses vieux fans montréalais probablement frustrés de ne pas l’avoir vu depuis ses débuts en offrant Les mots d’amour (tiré de Les risques du métier, 2003) et La P’tite monnaie, extraite de son tout premier disque de 1997. Respect.
Bon, on l’a trouvé un peu frileux de ne pas avoir joué Politiquement correct, chanson-phare de son nouveau disque qui lui a valu des critiques en Europe, mais comme il doit revenir à l’automne – il semble avoir dominé sa peur de l’avion -, il pourra se reprendre dans quelques mois.
Beaudet dans le vide
Parce que tout le monde venait voir la bombe Bénabar, ce n’était peut-être pas une bonne idée de programmer Sophie Beaudet en formule acoustique en première partie. D’autant plus vrai quand tu fais face à une foule majoritairement formée de Français bavards. (Ne me jetez pas la pierre, mes parents étaient Français de France. Je sais de quoi je parle..).
Bref, sa demi-heure de prestation est passée dans le beurre, comme on dit familièrement. C’était particulièrement navrant lors de ses introductions. Même placé à côté de la console – c’est proche, ça -, on ne l’entendait guère, tant le bruit de fond de la foule enterrait ses paroles. Rendez-vous raté avec un public plus large.
La reine Catherine
Rien de ça au théâtre Maisonneuve une heure plus tôt. L’assistance silencieuse et recueillie buvait littéralement les paroles et planait sur la musique de Catherine Major qui chantait pour le public mais aussi pour «mettre des sous de côté pour les études de ma fille».

Catherine Major au théâtre Maisonneuve. Impériale. Photo courtoisie FrancoFolies/Victor Diaz Lamich.
Quatre mois après sa première montréalaise au Club Soda, la très bonne tournée du Désert des solitudes de la grande pianiste – en taille et en talent – a atteint un niveau d’excellence.
Bien mieux, dans le théâtre Maisonneuve, les compositions de Major avaient encore plus d’ampleur au plan sonore. L’équilibre entre le piano, le trio électrique et la section de cordes était d’une rare perfection durant Saturne sans anneaux et Le Désert des solitudes. La chanteuse – bien moins nerveuse que lors de sa première – affichait un niveau de confiance absolue au plan vocal, musical…et même lors de ses interventions, comme durant son long roman-fleuve parfaitement maîtrisé.
Et quant à son interprétation de Chopin à la suite de la livraison de Bien, Major a démontré quelle avait encore haussé son niveau de jeu. Je pouvais quitter sans remords à l’entracte pour aller au Métropolis. Le verdict était limpide : la grande Catherine affichait vendredi des airs de reine.