MONTREUX – « Ahhhhhhhhhh ! Freak Out ! Le Freak, c’est Chic. Freak Out ! »
Debout sur le flanc droit au parterre de l’auditorium Stravinski, à une trentaine de pieds de Nile Rodgers et de ses collègues de Chic, j’accuse le coup. Cette soirée à l’affiche insensée qui voulait retracer le parcours de la musique Dance des années 1970 jusqu’à nos jours aura donc tenu ses promesses.
Remarquez, ça faisait un moment que j’en étais convaincu, mais quand Chic nous a balancé la chanson qui a été son ADN il y a plus de trois décennies et que tout être humain normalement constitué présent sur place s’est mis à danser, il y avait comme une validation indélébile.
Cette affiche, donc, était la plus osée et attendue du 46e Montreux Jazz Festival (appellation contrôlée). Portant le titre de la chanson de Chic, le spectacle mis sur pied par Rodgers et le DJ, guitariste et réalisateur Mark Ronson regroupait les précédents nommés ainsi que Alison Moyet, Tavares, Cerrone, Martha Wash, Taylor Dane, Ultra Naté, Dimitri From Paris, etc.
En fait, ladite affiche a été sujette à tant de modifications dans les jours précédant le spectacle qu’on ne savait plus trop où donner de la tête : Anita Baker a été ajoutée puis retirée en moins de 48 heures, Grace Jones a été annoncée à 72 heures d’avis et le nom de Patrick Juvet s’est retrouvé sur la liste remise aux médias une heure avant ce spectacle qui devait durer huit heures. Il y avait même une rumeur, tiens, que David Bowie – grand pote de Nile – fasse une apparition surprise.
L’aspect démesuré de la chose – un spectacle de huit heures, vraiment ? -, l’affiche instable et la présence de certains artistes comme Johnny Marr et La Roux dans cette entreprise laissaient hautement sceptique. On s’attendait au meilleur et au pire. Le meilleur aura eu le dessus, mais il y a eu quelques irritants.
Avec ou sans musiciens
A priori, certains artistes ont livré leur performance sans l’apport de musiciens mais à l’aide de musique préenregistrée. Ce n’est pas pour nous plaire, mais je me disais qu’on entendait au moins les portions musicales identiques aux disques d’antan et que tous les artistes chantaient pour vrai. C’est peut-être mieux que de chanter en play-back comme le font Madonna, Janet Jackson ou Johnny Hallyday.
Sur ce plan, deux performances sont sorties du lot : celles de Tavares et de Martha Wash. Les vétérans qui faisaient parti des groupes figurant sur la trame sonore du film Saturday Night Fever n’étaient qu’un tout petit cran en deçà de leur jeunesse, rayon puissance et tessiture vocale, et les harmonies étant encore bien au poste.
Bien mieux, les gars ont gardé la forme et l’écart entre leur allure actuelle et les images d’eux tirées des années 1970 que l’on projetait sur écran ne faisaient pas honte. Fils spirituels des Temptations quant à leur gestuelle de scène, le quartette a bien mis la table pour la soirée avec 25 minutes bien tassées et couronnées par Turn Your Love Around, More That A Woman (très prisée par les dames) et la superbe Heaven Must Be Missin’ An Angel qui a conservé son attrait mélodique.
Zzzzzzzzz…
Le set de la DJ Ultra Naté étant soporifique, ça nous a donné le temps d’aller prendre une bière. Détail important, tu ne peux boire ou manger dans les salles payantes à Montreux. Faut sortir.
De retour à temps pour Martha Wash, on a réalisé que l’ancienne des Weather Girls avait encore toutes ses ressources : du coffre, du souffle, un désir de faire la fête et fête ce fut, quand la dame qui fut la choriste de Sylvester dans les années 1970 a propulsé dans la stratosphère It’s Raining Men. On vous jure que ça a fait des vagues sur le lac Léman.
Cerrone, qui a fait les beaux jours de l’euro-disco dans les années 1970, est alors venu nous livrer un set d’une heure avec un vrai groupe qui sonnait fort bien. La prestation fut toutefois disproportionnée, durée longueur, en regard des performances précédentes. Et je vais m’abstenir de parler de son percussionniste animateur de foule. Je pourrais être vraiment méchant.
On a néanmoins apprécié la participation de La Roux à Super Nature. Très bon set de Cerrone fils aux tables tournantes tout de suite après, ce qui ne fut pas le cas de Taylor Dane. On comprend pourquoi la dame a disparu de la carte…
L’explosion Chic
On avait donc déjà trois heures et quart au compteur quand Rodgers et ses petits copains, tout de blanc vêtus, sont venus s’installer à leurs instruments. Ouverture canon avec Everybody Dance et Dance, Dance, Dance (Yowsah, Yowsah, Yowash). Sur scène, les livraisons étaient aussi proches de la funk dégoulinante que de l’enveloppe disco. L’auditorium a été balayé par une vibration irrésistible. La version de I Want Your Love fut un petit chef-d’œuvre avec des partitions émérites de trompette et de saxophone. Un régal.
C’est là qu’on a vu que Rodgers, producteur de plein droit, avait bâti son set avec intelligence. Il peut inviter Johnny Marr pour partager Stop Me, des Smiths, alors que Alison Moyet se charge de la portion vocale. Moyet, fougueuse et bravade, a également livré Situation avec panache. D’excellentes intégrations avec Chic qui se transforme en band maison.
La Roux se joint au groupe pour chanter ses succès In For the Kill, Bulletproof – durant laquelle elle oublie les paroles – ainsi que Why, de Carly Simon. Au moins, on savait que la voix de la rousse n’était pas enregistrée. N’empêche, Chic et La Roux faisaient le pont entre les générations avec élégance.
Auteur, compositeur, réalisateur et producteur, Nile Rodgers aura touché à tout. Pas pour rien qu’on voyait Quincy Jones assis dans les coulisses, qui appréciait le spectacle. C’est à ce moment que Chic – avec ses deux chanteuses et son batteur aux voix – a enfilé les bombes de vedettes planétaires liées à Rodgers.
I’m Coming Out et Upisde Down, de Diana Ross ; He’s the Greatest Dancer (formidable) et We Are Familly (rassembleuse), de Sister Sledge ; Like A Virgin, de Madonna, chantée comme Madonna n’est plus capable de le faire ; Let’s Dance, de Bowie et Notorious, de Duran Duran.
Chic, le E Street Band du disco, capable de tout jouer sur demande? Que oui. Du parterre au balcon, c’était la folie et la meilleure piste de danse au monde était à Montreux.
Et il restait encore des munitions à la bande à Rodgers : Chic Cheer, My Forbidden Lover, Le Freak et, évidemment, Good Times, jouée comme sur le disque d’antan et qui a bénéficié de l’intégration de Rapper’s Delight. Finale torride avec tous les artistes sur scène au terme d’un set de près de deux heures. LE fait saillant de cette virée monstre, n’en doutez pas.
Patrick Juvet et Grace Jones sont montés sur scène après trois autres DJ, au-delà de 3 :30 du matin… J’ai dû faire impasse. Pas pour cause de fatigue, mais j’avais une heure de route à faire vers Gimel et un train à prendre pour la France quelques heures plus tard. Tant pis pour moi. On ne peut pas tout avoir dans la vie.