
Garland Jeffreys sera de retour à Montréal pour la première fois depuis une prestation extérieure au FIJM en 2004. Photo courtoisie Danny Clinch.
Il y a 20 ans, Garland Jeffreys s’investissait à fond dans un album fabuleux qui dénonçait le racisme, Don’t Call Me Buckwheat. Aujourd’hui, il prend la part des marginaux, parle de la vie au quotidien et de la mort en embuscade avec son plus récent disque, The King of In Between, qu’il viendra nous présenter sur la scène du Club Soda dimanche prochain. Autres temps, autres combats, même artiste socialement engagé et déterminé.
Par Philippe Rezzonico
Si la photo qui orne la pochette de Jeffreys évoque le passé avec le panneau indicateur des boulevards Dr. Martin Luther King Jr. et Malcolm X, celle au verso montre l’esplanade de Coney Island. Mais pas le Coney Island qui attire des milliers de new-yorkais sous le soleil estival, après un périple de 22 escales de transport en commun.
Il s’agit plutôt du Coney Island triste, désert et hivernal qui illustre bien le propos de son titre d’ouverture (Coney Island Winter) qui parle de temps durs, d’emplois perdus, de manque de fric et de désillusion généralisée.
«Nous vivons dans une époque complètement folle à bien des égards, note Jeffreys, joint à New York. On le constate partout dans le monde. A New York, je le vois sur une base quotidienne en observant la vie de tous les jours. Il y a des gens qui quémandent, qui vivotent, qui ont perdu ce qu’ils possédaient. Ce n’est un secret pour personne, notre pays fait face à l’une des plus difficiles périodes de son histoire.
«Nous avons été touchés par des tas de catastrophes naturelles. Des milliers d’Américains ont tout perdu. Ils n’ont plus rien. Pourtant, l’Homme ne s’est pas aidé non plus, quand on observe ce qui se passe dans d’autres secteurs comme l’économie.»
Désillusionné, l’ami Garland ? Que non. Il est le premier à admettre qu’il a une vie magnifique contrairement à certains de ses citoyens américains. Mais il est du genre à s’inquiéter de ce qui se passe autour de lui.
Il y a deux décennies, les Etats-Unis étaient encore loin de l’élection d’un premier président de race noire quand il a mis au monde Don’t Call Me Buckwheat. Le racisme envers les Noirs n’a pas disparu pour autant, loin de là, mais le problème est moins criant qu’il ne l’était avec la présence d’une telle figure d’autorité au plus haut poste du pays.
Le regard parental
De nos jours, Garland observe d’autres problèmes, cette fois vus de sa lorgnette de paternel. L’artiste a eu sur le tard une petite fille qui est aujourd’hui adolescente. Et si avoir 15 ans t’expose à certains problèmes universels, ils sont parfois plus criants à New York.
La chanson Streetwise – croisement musical entre Isaac Hayes et Barry White – est autant un message adressé à sa fille qu’aux gardes du corps de Barark Obama venant de la part de celui qui a grandi dans le New York très turbulent des années 1960 et 1970.
«On essaie d’être un bon père, mais on ne peut s’empêcher de voir les dangers de la rue. Ils existaient dans le temps. Ils sont toujours là, même s’ils ont parfois une forme différente. La journée que je composais cette chanson, ma fille avait des amies à la maison. J’ai interprété la chanson devant elles en leur disant qu’elles devaient être conscientes des dangers qui les entourent.»
A l’écoute du texte de cette nouvelle composition, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec Wild In the Streets, titre majeur de Jeffreys des années 1970 qui s’inspirait de travers de la rue.
«C’est exact, confirme-t-il. Il y a des variantes, mais l’intention était la même. Remarque, le but n’est pas de faire peur aux enfants (petit rire) mais de leur faire prendre conscience de quelque chose ».
Palette étendue
Comme c’est le cas pour presque tous les disques de Jeffreys, The King of In Between a un spectre sonore large : pop, folk, rock et reggae sont au menu. Résultante directe de l’environnent géographique de l’artiste ?
«En partie, parce qu’il y a tant de genres musicaux auxquels nous sommes exposés dans une ville comme New York. Et aussi parce que j’ai toujours voulu amener l’auditeur dans un voyage musical. Ça brosse un portrait plus large à mes yeux.»
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Entre les marginaux et la conscience sociale, Jeffreys nous parle aussi du désir de vivre (I’m Alive) et aborde son départ éventuel (‘Till John Lee Hoocker Calls Me), un peu comme John Mellencamp l’a fait récemment avec If I Die Sudden et Don’t Need This Body. L’artiste aborde la réelle notion de mortalité. La sienne.
«C’est évident que je n’aurais pas écrit ça il y a 20 ans, précise celui qui a 68 années au compteur. Je n’ai pas à me plaindre et je suis en bonne santé, mais c’est le genre de choses auxquelles tu penses à un moment. Mais ce n’est pas tant pour affronter ou défier la mort que pour l’aborder de façon poétique. »
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Garland Jeffreys présente The King Of In Between au Club Soda, le dimanche 20 novembre.