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Garland Jeffreys est un artiste dont une partie de l’univers musical est liée à la rue et aux gens qui y vivent. Pas pour rien qu’il réside à New York et qu’il a écrit un hymne comme Wild In the Streets. En spectacle, c’est le parterre qui devient sa rue. Wild, le Garland. Wild au parterre !
Par Philippe Rezzonico
Franchement, j’ai cessé de compter. En excluant les quatre chansons offertes en acoustique durant lesquelles il était assis, Jeffreys a bien dû quitter la scène et descendre au parterre du Club Soda pour la moitié des 16 autres titres interprétés dimanche devant cette foule rassasiée au possible au terme de deux heures de performance.
La plupart des artistes font ça une fois par spectacle, quand la salle s’y prête. Jeffreys, lui, se sert du bain de foule pour chanter, danser, parler aux amateurs dans les yeux, les haranguer quand ils sont trop passifs et se transformer en meneuse de claques. Il a également l’allure d’un pasteur qui veut rencontrer ses ouailles de plus près. S’il possède une dégaine qui rappelle celle de Gary US Bonds, on pensait surtout au révérend Al Green dans ces moments-là.
Faut dire qu’il était bien armé, l’ami Garland. Avec son disque qu’il a mis «plus de dix ans à faire», il se pointait à Montréal pour la première fois depuis 2004 avec un album (The King Of In Between) du calibre de ses meilleurs crus.
I’m Alive, chantée avec force, était une façon de rappeler à ses fans et à lui-même qu’il est toujours présent, alors que Streetwise a fait mouche avec son clavier digne de Isaac Hayes, période Shaft.
Et il avait aussi son vieux stock qu’il a offert avec conviction. Il fallait le voir – au parterre – louanger le cinéma avec 35 Millimeter Dreams ou parler de racisme par l’entremise de Don’t Call Me Buckwheat, qui s’est conclue dans une finale de piano gospel.
En voix et en forme
La surprise, ce fut la forme vocale et physique de monsieur Jeffreys. A 68 ans, il a porté les hautes notes de Spanish Town sans coup férir, chanté Ghost Rider avec l’intensité voulue, mais il a aussi bougé sans arrêt toute la soirée durant. Il brandissait le poing vers le ciel, sautillait à répétition ou bien il se laissait tomber de la chaise sur laquelle il prenait place au milieu du parterre.
Durant Til John Lee Hooker Calls Me, ce brûlot qui est un croissement entre le Boum Boum du Hook et La Grange de ZZ Top, Jeffreys s’est agenouillé avec le pied de micro dans les mains manière Elvis, s’est couché sur le dos, est venu danser avec une spectatrice survoltée et a dû se dégager d’une autre fan, très éméchée. Dix minutes de beau délire et de savoir-faire d’un vieux routier qui a du métier.
Tellement en forme, l’Américain, qu’il n’a jamais fait de pause. A l’entracte, il a retraversé le plancher, serrant la main de tout le monde, afin d’aller s’installer à la table à souvenirs et passer une demi-heure à signer «tout ce que les fans voulaient». Signer des autographes à l’entracte dans un show rock ? Je n’avais jamais vu ça…
Il est revenu en mode acoustique, nous gratifiant entre autres d’une superbe relecture de Dylan (Pledging My Time). Et puis retour de la ferveur avec Wild In the Street, puissante à souhait. Hail ! Hail ! Rock N’ Roll fut encore plus décapante, Jeffeys ayant décidé qu’on allait tous chanter. Une, deux, trois, cinq, dix fois a-t-on repris la phrase fétiche, l’artiste brandissant chaque fois son micro vers nous avec plus de vigueur, et la foule, hurlant plus fort.
Et on a eu 96 Tears, incontournable et vibrante, à laquelle il a greffé un bout de Mother In Law. Après deux heures de prestation et une demi-heure de séance de signatures, que pensez-vous qu’a fait, Garland Jeffreys? Il a traversé encore une fois le parterre, chapeau vissé sur sa tête, pour se payer une deuxième fournée d’autographes. Wild.