Désignons ça comme étant des conditions gagnantes : le premier de quatre spectacles de Half Moon Run à guichets fermés dans la métropole, environ six mois après la parution de Sun Leads Me On, deuxième opus adopté d’entrée de jeu par les amateurs du groupé formé à Montréal. Et nous étions un vendredi soir….
Par Philippe Rezzonico
En dépit de tous ces éléments qui avantageaient le groupe, encore fallait-il livrer un spectacle à la hauteur des attentes. Et sur cet aspect, Half Moon Run n’a pas raté son retour au bercail.
Dès la première partie assurée par Émilie & Ogden, on se marchait sérieusement sur les pieds dans un Métropolis fiévreux. La foule, jeune et festive, aurait pu être un peu plus attentive à la proposition musicale tout en douceur à la harpe d’Emilie & Ogden, mais on a rapidement réalisé que les spectateurs massés au parterre étaient bien plus attentifs que ceux à l’arrière. Un cas d’espèces classique. Fort jolie, par ailleurs, cette proposition.
Heureuse initiative du groupe, chaque spectacle aura droit à une première partie différente. Ce soir, c’est Jesse Mac Cormark qui sera présent en lever de rideau. Give Me Something Beautiful et Folly the Hunter seront les artistes invités, respectivement dimanche et lundi.
Le tonnerre d’applaudissements qui a salué l’arrivée du groupe sur les planches s’est rapidement tu après les premières mesures de Warmest Regards, la composition d’ouverture du nouvel album qui sera de la trame musicale du film Demolition, de Jean-Marc Vallée. Avec ses harmonies rien de moins que beatlesques, cette nouvelle chanson donne l’impression que les quatre garçons dans le vent des années 1960 se sont réincarnés au sein d’un autre groupe en 2016. Qui plus est, l’offrande était magnifiée par l’ajout d’une trompette et d’une flûte traversière, que l’on a revu plus tard dans le spectacle, notamment lors de Sun Leads Me On.
Savoureuse entrée en matière avant d’enchaîner avec Turn Your Love, déjà bien familière pour le public, et I Can’t Figure Out What’s Going On, interprétée à quatre voix (Devon Portielje, Conner Molander, Dylan Phillips, Isaac Symonds) et majorée d’un quatuor à cordes féminin. Après un quart d’heure, tout le monde était bien installé dans l’univers de Half Moon Run.
Savoir-faire
Durant une heure et demie, les quatre montréalais adoptifs ont montré l’étendue de leur savoir-faire. Rarement une rentrée montréalaise offre-telle une telle unité de son et une cohésion musicale de ce calibre. Half Moon Run a déjà donné plus d’une quarantaine de spectacles lors de cette tournée et le groupe est soudé comme pas un.
Mais peut-être encore plus que durant le cycle de l’album Dark Eyes, la complémentarité du groupe semble-telle évidente. Si Portielje est le chanteur principal, pas un seul refrain n’est interprété sans Molander en support. Et le chanteur principal et le guitariste sont placés aux extrémités de la scène, pour que la foule ait une vue directe sur les batteries de Phillips et Symonds, dont le synchronisme et la dualité mènent des chansons comme It Works Itself Out a un niveau supérieur que la version studio.
On fait parfois un parallèle entre Half Moon Run, Arcade Fire et The Barr Brothers, tous des groupes nés dans la métropole avec nombre de musiciens nés ailleurs qu’au Québec ou provenant des États-Unis. Mais on peut dire aussi que les gars sont des multi-instrumentistes, comme la bande de Win Butler et Régine Chassagne.
Portielje chante, joue de la guitare, des percussions et des claviers. Molander alterne entre ses guitares et son clavier, mais il peut aussi prendre place au piano. Ce que fait Phillips, quand il quitte sa batterie pour jouer l’instrumentale Throes, seul au piano. Marquant.
Molander peut colorer une offrande telle Unofferable avec une nappe d’harmonica digne de Dylan, tandis que Portielje martèle son tambour durant une Call Me in the Afternoon vivifiante, chantée à l’unisson par la foule.
Intimité
Groupe capable d’étoffer sa musique dans les champs pop, rock et même d’y aller d’un soupçon d’électro (Drug You), Half Moon Run peut réduire au maximum. À preuve, l’introduction de Everybody Wants, placide, qui fait place à une montée toute en puissance qui culmine avec un éblouissant jeu de lumières qui nous aveugle l’espace d’une seconde. Les gars peuvent aussi verser dans le terroir country le plus organique avec Devil May Care (guitares acoustiques, harmonica), lors d’un bivouac.
Mais le groupe peut aussi appuyer sur l’accélérateur en offrant en succession She Wants To Know et Consider Yourself, durant laquelle Phillips et Symonds mettent le turbo en sixième vitesse pour propulser le Métropolis dans la stratosphère. Les gars ont gardé un trio de chansons qui comprenait, bien sûr, Full Circle au rappel, mais ils avaient gardé une surprise pour un deuxième rappel.
Accompagné du trio d’Émilie & Ogden, du quatuor à cordes, de la trompette et de la flûte traversière, Half Moon Run a bouclé son spectacle avec une version collective et rassembleuse de I Shall Be Released, chanson de Dylan popularisée par The Band, comme si le groupe avait décidé d’imiter The Band en 1976 (performance gravée pour la postérité sur The Last Waltz). Finale symbolique pour ce retour au bercail très, très réussi.