On reproche parfois aux groupes d’un autre âge de se complaire dans la facilité, d’offrir sensiblement le même spectacle, bref, de surfer sur un air de nostalgie. Et ce n’est pas faux.
Par Philippe Rezzonico
Mais parfois, un duo qui a quatre décennies de carrière derrière lui peut surprendre. Et c’est ce que Heart a fait, vendredi soir, au Centre Bell, en proposant ses classiques et en allant puiser à ses racines.
Ne vous trompez pas, il s’agissait bien d’un spectacle de Heart : la ligne de guitare dynamisante de Barracuda, le refrain coup de poing de Heartless et le chant fédérateur de What About Love qui ont amorcé la soirée ont donné le ton. On a d’ailleurs commencé – graduellement – à réajuster le son lors de cette troisième chanson, qui a, comme d’habitude, été parmi les plus applaudies.
C’est d’ailleurs le clivage qui me frappe chaque fois à un show de Heart. Les gars qui ont grandi dans les années 1970 vont voir les sœurs Ann et Nancy Wilson pour entendre les Crazy On You, Even It Up, Straight On, Kick It Out et autres Barracuda. Le gros rock, quoi. Les filles qui écoutaient la FM de la fin des années 1980 sont là pour What About Love, These Dreams – joliment interprétée par Nancy – et Alone, qui a valu à Ann une ovation debout.
Ça, c’est l’aspect prévisible de Heart. Le spectacle est toujours livré avec intensité, mais cette prestation, l’on a vue des dizaines de fois, avec une grille de chansons qui varie peu d’une tournée à l’autre. Hier, Magic Man n’était pas de la partie, comme Straight On ne figurait pas sur la sélection l’an dernier, ni Kick It Out à Wilfrid-Pelletier, en 2011.
Surprise
Mais nous sommes tombés à la renverse quand Nancy Wilson a dit que le groupe allait interpréter une chanson « apprise aujourd’hui », et que l’on a reconnu instantanément l’entrée en matière de Let Me Roll It, des Wings.
Nancy Wilson, 60 ans, sautille encore avec énergie sur scène. Elle s’agenouille sans problème, fait son coup de pied vers le ciel, brandit ses guitares au-dessus de sa tête à un âge où des dames peinent à descendre les escaliers. Une force de la nature, cette magnifique dame. Les frangines ont ainsi livré le classique de McCartney comme si elles l’interprétaient depuis des lustres. Coup de cœur.
Je l’écrivais cette semaine sur mon blogue, à Radio-Canada, les sœurs Wilson n’ont pas été inspirées par les artistes féminines qui les ont précédées. Leurs modèles, leurs références, ce sont les grands groupes rock des années 1960 comme Led Zeppelin et The Who. Et l’interprétation de Stairway To Heaven avec Jason Bonham devant les membres survivants de Led Zeppelin aux Kennedy Awards, en 2012, a mené à la valeur ajoutée de cette tournée Rockin’ Heaven qui sera à Québec ce soir, au Pavillon de la jeunesse.
50 minutes de Led Zep
Après l’entracte, Jason Bonham est venu se joindre au groupe et les filles ont montré aux 6000 spectateurs qu’elles pouvaient botter le derrière de n’importe quel rocker.
L’interprétation à deux guitares de The Battle of Evermore fut rien de moins que jouissive. Bonham a propulsé Four Sticks avec une puissance digne de son père John, puis, tout le monde a plané avec No Quarter, tandis que les écrans étaient parsemés d’images multicolores psychédéliques.
La foule ne s’est pas fait prier pour chanter les « na-na-na » durant The Ocean, puis, Ann Wilson a réussi l’impossible : chanter Immigrant Song, ce que Robert Plant n’avait même pas osé faire en 2007 à Londres avec Led Zeppelin, quand il avait 60 ans.
Homme ou femme, ça prend toute une voix pour assurer le cri primal de cette chanson. Ann Wilson, qui va avoir 64 ans dans quelques jours (19 juin), a survolé la chanson comme si elle en avait 30. Impressionnant.
Et c’était encore plus formidable durant Kashmir. Il fallait voir Nancy Wilson jouer le légendaire riff comme si elle voulait casser sa guitare. Il fallait entendre Ann porter sa voix dans les cimes. À un moment, j’ai fermé les yeux, et je vous jure que je me suis téléporté au O2 de Londres, comme en 2007. C’était à ce point similaire à Led Zep…
Après The Rain Song qui a permis de démontrer que Nancy Wilson est un as à la guitare acoustique, Heart et Bonham se sont attaqués à Stairway To Heaven, avec le concours de membres du Chœur gospel célébration de Québec, que l’on a guère eu la chance d’apprécier (encore un problème de son). N’empêche, ce fut quand même gigantesque.
Évidemment, à l’arrivée, Led Zeppelin a bouffé Heart, ce qui était prévisible, mais ce ne sont pas les sœurs Wilson qui vont s’en plaindre. Leurs sourires mutuels durant le set de Led Zep étaient sans équivoque. On voyait deux « jeunes femmes » qui chantaient leurs idoles comme elles le faisaient dans les clubs avant la parution de leur premier album.
Et cette tournée canadienne va aussi mettre un terme à un autre débat. Si Jimmy Page, John Paul Jones et Jason Bonham tiennent absolument à faire la tournée « Led Zeppelin » dont ils rêvent depuis sept ans, ils n’ont plus besoin de Robert Plant. La « voix » de Led Zep est désormais celle d’Ann Wilson.