Ingrid St-Pierre: tout assumer, tout accomplir

Ingrid St-Pierre/Photo courtoisie

Ingrid St-Pierre/Photo courtoisie

Debout, face au public de La Tulipe suspendu à ses lèvres, Ingrid St-Pierre achève L’éloge des dernières fois avec la douceur et la sensibilité qui la caractérisent, uniquement accompagnée des notes cristallines de la harpe d’Éveline Grégoire-Rousseau.

Par Philippe Rezzonico

Elle boucle ainsi la rentrée montréalaise de son album Tokyo qui n’est rien d’autre qu’une autre tranche de la vie de cette artiste qui maîtrise si bien – et déjà, pourrais-je ajouter – la notion de devoir de mémoire au plan personnel.

Elle a fait sourire, la belle Ingrid, quand elle précisé en début de spectacle que les compositions du nouvel album sont plus « inspirées de faits réels » que les précédents. Comme si nous ne savions pas que Ficelles, le succès de son premier disque, était inspiré des pertes de mémoire de sa grand-mère.

Après trois disques et des années de scène derrière, Ingrid St-Pierre a su conserver la fraîcheur de ses débuts, non sans étoffer son propos et ses musiques. Que de beauté à travers les musiques concoctées Benoit Rocheleau (cuivres, percussions), Mathieu Désy (contrebasse), Liu-Kong Ha (batterie), Camille Paquette-Roy (violoncelle) et Grégoire-Rousseau (harpe).

Musique exquise

La trompette de Rocheleau juxtaposée à la polyrythmie de Ha ont fait merveille pour La Ballerine, tandis que la finale de Desjardins, quand le piano de St-Pierre et la harpe de Grégoire-Rousseau se font la conversation, était exquise.

Pour tout décor sur scène avec les cinq musiciens, cinq néons (trois verticaux, deux horizontaux et un circulaire) qui rappellent le décor urbain de Tokyo. Sinon, ce sont les mots qui prennent toute la place et qui retiennent l’attention. Félicitations aux spectateurs attentifs à l’extrême et totalement muets. Quel plaisir que d’entendre la musique plutôt que des conversations bavardes…

S’il y avait quelqu’un qui causait dans la salle de la rue Papineau, c’était Ingrid elle-même. La pianiste aux cheveux de lumière parle du 63 Rue Leman comme on parle de sa propre maison. Normal, c’est sa propre maison. C’est là où son fils est né.

Causer et raconter

Elle cause en alternance de la genèse de son nouveau disque, de la naissance de son enfant, « deux projets d’envergure », et du déménagement qui ont été le lot de son quotidien l’an dernier. Tout en précisant que la raison pour laquelle il y a entracte dans le spectacle ne tient pas tant à la nécessité pour les spectateurs d’aller au bar, mais bien « parce que je dois aller allaiter ».

St-Pierre cause, mais elle raconte avant tout. Elle raconte beaucoup et bien mieux qu’avant. Évolution, donc. Parfois, les histoires et les personnages sont d’emblée incrustés dans le texte, comme la vielle dame dans Les Aéronefs. Sinon, c’est Ingrid elle-même qui installe la mise en scène de ses chansons.

On comprend qu’elle et La Dentellière, « qui me met les bâtons dans les roues », sont en réalité la même personne. Les « vieilles cartes postales laides » sont visualisées par le public avant qu’elle n’interprète Les Loups pastels. Et, tous, nous sommes figés à l’écoute de Monoplace, son « mini-requiem à mon mini-pluriel » qui relate sa fausse couche d’y il y a deux ans, quand le piano, la trompette et la batterie nous emportent dans un crescendo. Sans oublier la longue introduction à l’instrumentale Lucie, où elle nous parle avec passion de son grand-père et de ses talents de raconteur.

Aucun doute, il y a là un lien génétique. St-Pierre est désormais aussi accomplie dans sa façon de s’adresser au public, qu’elle ne l’est dans le choix des mots et avec son jeu aérien sur ses ivoires. Et pour inverser le propos de la chanson de clôture de ce spectacle magnifique, disons que ce n’est pas la dernière fois que l’on lui lancera des éloges.

La tournée d’Ingrid St-Pierre se poursuit au Québec en avril et en mai et des supplémentaires sont prévues à l’automne. Consultez l’horaire de tournée.