Quiconque s’intéresse un tant soit peu à l’histoire de la politique américaine connaît le personnage public qu’est J. Edgar Hoover, chef tout puissant du FBI qui aura survécu à huit administrations. Mais le portrait de l’homme brossé dans le film de Clint Eastwood nous apprend que l’organisme chien de garde de la justice américaine a été dirigé pendant près de cinq décennies par un individu dont la psychose rivalisait avec celle de certains extrémistes d’aujourd’hui.
Par Philippe Rezzonico
Bien sûr, J. Edgar repose de façon à peu près égale entre l’homme public et l’homme privé. Le premier aura modifié le visage de la criminologie moderne durant sa férule à la tête du bureau fédéral (1924-1972) qu’il a fondé. Tous les CSI de la terre doivent en partie leur mode de fonctionnement actuel aux procédés mis en place par Hoover (Leonardo DiCaprio).
On pourrait aussi ajouter que tous les Law & Order doivent leur existence à J. Edgar. Au-delà des avancées technologiques de cueillettes de preuves, Hoover a fait amender des lois existantes afin de donner plus de pouvoirs et de moyens à son bureau fédéral. Quitte à être au-dessus de ces mêmes lois qu’il avait le devoir de faire respecter.
En privé, l’homme secondé d’une secrétaire exemplaire qui a préféré le mariage professionnel au mariage tout court (parfaite Naomi Watts), était un vieux garçon qui refoulait son homosexualité envers son aide de camp (impeccable Armie Hammer) en raison du courroux potentiel d’une mère homophobe (excellente Judi Dench).
La politique l’emporte
Les spectateurs qui s’intéressent à la chose politique raffoleront des rebondissements de l’affaire Lindberg, des confrontations avec le pouvoir politique – la séquence avec Robert F. Kennedy est jouissive –, et des discours enflammés et patriotiques de Hoover devant le congrès.

Clyde Tolson (Armie Hammer) et J. Edgar Hoover (Leonardo DiCaprio): une relation amoureuse refoulée durant quatre décennies. Photo courtoisie
Ceux qui s’intéressent aux histoires de placard resteront sur leur faim. Eastwood aborde le sujet par l’entremise de deux tableaux forts, mais on sent que le vétéran cinéaste a mis le pied sur le frein pour que son film à priori biographique ne se transforme pas en cas d’espèce.
Tous, enfin, vont trouver le long-métrage trop long, pester contre l’utilisation des maquillages – celui de Hammer est risible – et déplorer que la trame narrative joue au yo-yo entre les époques sauf, dans ce dernier cas, ceux qui connaissent sur le bout de leurs doigts la politique américaine.
A l’arrivée, l’élément que l’on retient est le message sous-jacent même pas déguisé que Eastwood a voulu passer à travers Hoover. Complètement habité par son personnage, DiCaprio offre une composition forte et fragile, crédible et nuancée, qui démontre tout l’aspect mégalomane de celui qui se prend pour le président.

Helen Gandy (Naomi Watts) et le contenu des discours lus par J. Edgar. Vous avez dit démagogie? Photo courtoisie
Le ton hautain et imbu de lui-même, les regards pénétrants, les discours démagogiques, la hantise des communistes, la morale rétrograde, le désir de tout contrôler, la chasse aux sorcières, le maintien de l’ordre élevé au niveau du droit divin… Dans l’esprit de Eastwood, Hoover était, à bien des égards, l’équivalent de nombre de personnages publics que l’on estime dangereux de nos jours.
C’est pour cette raison que J. Edgar vaut le détour malgré ses imperfections. A observer Hoover, on se dit qu’il a quelques types dans son genre en 2011. Et que certains d’entre eux sont présentement en lice pour l’investiture présidentielle républicaine.
J. Edgar, de Clint Eastwood, avec Leonardo Di Caprio, Naomi Watts et Arnie Hammer.
3 étoiles