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Dans Where It’s At, Beck chante : «I’ve got two turntables and a microphone». Au sortir de la performance offerte par Jay-Z et Kanye West, mardi, au Centre Bell, on avait le goût de dire : «On a eu les deux voix unies d’une même génération.»
Par Philippe Rezzonico
Dans une autre vie, l’un fut le maître émérite de celui qui était l’élève surdoué. Mardi, ils trônaient chacun sur leur cube surélevé ou ils partageaient la scène comme des frères de sang sur un pied d’égalité, dans cette rencontre au sommet qui a été à la hauteur des attentes.
Généreux dans la livraison (deux heures et demie de performance sans entracte), les deux hommes ont épuré leur spectacle au maximum, laissant toute la place à leurs – fortes – chansons. Tantôt, ils partageaient les collaborations de l’album Watch The Throne, parfois, ils alternaient pour enfiler leurs succès respectifs.
Pour marquer ta génération, il fait que tu maîtrises tes bases. Plusieurs chansons offertes faisaient le pont entre le passé et le présent de belle manière.
Otis, jouée devant l’immense drapeau américain descendu du plafond, repose sur la structure de Try A Little Tenderness, d’Otis Redding, tandis que Diamonds From Sierra Leone fait un clin d’œil à Diamonds Are Forever, de Shirley Bassey. Hé ! Nous avons même eu droit à l’introduction de New York New York, de Sinatra, pour Empire State of Mind, l’un des moments forts de la soirée.
Deux hommes, deux styles
Jay-Z, c’est la classe, le flow incroyablement fluide, le charisme, l’aisance et l’incontournable casquette des Yankees sur sa tête : assis pour livrer Hard Knock Life que la foule a repris au vol, occupé à départager les côtés droit et gauche du Centre Bell pour chanter Nigga What, Nigga Who, et faire sautiller les spectateurs en synchronisme durant U Don’t Know.
Kanye West, c’est le rebelle à l’égo démesuré, la livraison vocale hargneuse, l’intensité (quand il tombe à genoux pour interpréter Jesus Walk), la fougue (quand il arpente l’immense scène en courant durant Touch the Sky) et le kilt écossais. Du moins, hier soir…
Noyé dans les lasers durant Flashing Lights (non, il ne s’est pas inspiré de Flash tes lumières de JMP), il entraîne la foule de plus de 15, 000 spectateurs à battre la mesure durant Power et offre une interprétation sentie de Runaway, quoique un peu trop trempée dans cette abomination nommée auto-tune.
Cohésion totale
On n’a jamais douté une seconde que chaque rappeur allait s’éclater en interprétant ses chansons, mais on ne s’attendait pas à une telle cohésion commune. C’était même vrai quand ils ont pris la pose durant What a Wonderful World, de Armstrong, histoire de regarder défiler la vidéo farcie d’images de guerre et du Ku-Klux-Klan. Puissant.
La complémentarité observée en début de soirée avec Who Gone Stop Me, Gotta Have It ou Monster, a atteint des sommets dans le dernier droit avec That’s My Bitch, Gold Digger et 99 Problems.
Ce furent d’ailleurs les titres les plus fédérateurs de la soirée, quoique presque tous les classiques de l’un de ou l’autre auont été repris sans coup férir par cette foule blanche à 95 pour cent, dont la moyenne d’âge était dans la vingtaine. Au spectacle d’Eminem cet été, ce constat n’était pas une surprise. Hier, un peu plus. Il y a 55 ans, Elvis chantait la musique des Noirs aux Blancs. Aujourd’hui, les Noirs chantent leur musique aux Blancs. Juste retour de balancier.
Et la frénésie n’a pas baissé d’un iota à la fin, le duo s’offrant quatre livraisons successives de Niggas In Paris, que les deux jeunes adolescentes placées devant moi – déchaînées toute la soirée – ont chanté et interprété, gestuelle à l’appui.
Quand Encore a conclu ce marathon de 150 minutes, tout le monde était repu, mais une question demeurait sans réponse : Finalement, à qui appartient le trône ? J’avoue que j’aurais bien du mal à les départager…