Joan Baez et ses musiciens, bras dessus bras dessous, savouraient les salves d’applaudissements des 1 800 spectateurs présents à la Maison symphonique avant les rappels, lundi, lorsque l’hymne national américain s’est fait entendre.
Par Philippe Rezzonico
Quelques secondes plus tard, tous étaient agenouillés, mimant ainsi le geste des joueurs de la NFL initié il y a deux ans par l’ex-quart des 49ers de San Francisco Colin Kaepernick. Et les applaudissements ont redoublé, survolés par des hourras qui fusaient de toutes parts.
Pour sa tournée d’adieu Fare Thee Well qui passait à Montréal huit ans après son spectacle au théâtre St-Denis, Joan Baez, la militante, n’avait certes pas pris congé. Une heure plus tôt, avant l’interprétation de Deportee, de Woody Guthrie, qui raconte l’histoire de réfugiés mexicains, elle avait noté à quel point elle était heureuse d’être au Canada.
« Il y a un niveau de santé mentale élevé sur cet enjeu ici. D’où je viens, comme vous le savez, il n’y en a pas… »
Cet engagement social qui est sien depuis le temps des luttes des Noirs durant les années soixante aux États-Unis s’est souvent fait sentir dans la sélection des chansons, notamment lors du doublé coup de poing formé par Another World (Antony and the Johnsons) et A Hard Rain’s A-Gonna-Fall, de Bob Dylan.
Avant d’interpréter la première, elle a noté que c’était « pas mal comment je me sens présentement », avant de noter pour la seconde qu’elle est toujours « aussi pertinente » plus de 50 ans après sa création. Et plus déchirante que jamais, ajouterais-je.
N’empêche, on sent que la situation terrible à ses yeux qui prévaut dans son pays a fortement teinté cette dernière tournée qu’elle qualifie de « sombre ». Quand tu ressors une chanson comme Joe Hill, ça veut tout dire.
Vivre les chansons
Si Guthrie et Dylan étaient au nombre des géants américains, il y avait aussi des tas de compositions écrites ou popularisées par Tom Waits, Mary Chapin Carpenter, Kris Kristofferson, Pete Seeger et John Lennon. J’ai toujours vu Baez comme étant l’équivalent d’une Juliette Gréco dans la francophonie : une interprète exceptionnelle quand vient le temps de donner sa pleine expression à une chanson.
Avec les années, c’est plus vrai que jamais quand elle reprend du Dylan (Don’t Think Twice, It’s All Right, It’s All Over Now, Baby Blue, Forever Young) avec lequel elle était intimement liée en début de carrière. D’autant plus que ça fait une mèche que Bob ne chante plus ses anciennes chansons aussi bien que Joan.
Le timbre de Baez est similaire à ce que nous avions entendu en 2010. Le chant est aussi impeccable que son doigté sur ses six cordes est précis. Le trémolo y est encore, mais les tonalités, elles, sont bien plus basses que lors de son premier passage à Montréal… en 1962. La grande dame qui vieillit avec la grâce qu’elle évoque dans The Last Leaf on the Tree, de Tom Waits, a quand même 77 ans.
Parmi les nouvelles chansons de Whistle In the Wind, la chanson-titre tient son bout, mais Silver Blade, que Baez qualifie de relecture contemporaine de Silver Dagger, qui figurait sur son premier disque de 1961, vaut franchement le détour.
« La jeune femme dans Silver Blade est moins naïve que la précédente. Et dans la chanson, elle tue le type… »
Comme en 2010, l’Américaine nous a gratifié d’une magnifique version piano-voix en français de Un Canadien errant. Accompagné du multi-instrumentiste Dirk Powell (guitare, banjo, violon, piano), de son fils Gabriel Harris (batterie, percussion) et de la choriste Grace Stumberg, Baez propose un tour de chant qui va du solo au quartette, selon les besoins.
Me and Bobby McGee et Darling Coney ont profité à plein de la présence de Stumberg, Diamonds & Rust a eu droit à la plus importante salve d’applaudissement, mais c’est toujours en solo (There But For Fortune, The President Sings Amazing Grace), droite comme une lame avec sa guitare en mains, que Baez m’émeut le plus.
Il faudra désormais que je conjugue au passé.