Ça fait plus de dix ans que l’œuvre musicale de John Mellencamp a atteint un autre niveau de maturité, celui de son âge : plus mélancolique dans le ton, plus sombre dans le propos et totalement conscient de sa mortalité. Ça n’a jamais été aussi évident sur scène que jeudi, dans la salle Wilfrid-Pelletier, ou l’ombre de l’Américain aura côtoyé de réels moments de lumière.
Par Philippe Rezzonico
Agé de 60 ans depuis trois semaines, Mellencamp ne fait plus des spectacles de « grands succès » depuis des lustres, mais il affichait une forme du tonnerre, jeudi. Aminci depuis son dernier passage au Centre Bell en 2008, fringué d’un complet – ça, je dirais que c’est l’influence de sa nouvelle flamme, l’actrice Meg Ryan -, Johnny avait la voix plus éraillé que naguère – il n’a jamais cessé de fumer malgré son infarctus de 1994 -, mais elle avait une puissance renouvelée.
Elle était taillée sur mesure pour les récents et nouveaux titres que des tas de fans semblaient connaître malgré le fait qu’il y a longtemps que ses nouvelles chansons ne jouent plus à la radio. Il fallait voir la hargne qu’il démontrait quand il interprétait John Cockers, répétant la phrase-clé « But I ain’t got no friends », comme si c’était l’histoire de sa vie.
Le plus gros de la vie de Mellencamp, en effet, est derrière lui, et ça fait quelque temps qu’il l’aborde dans ses chansons. Death Letter, avec la guitare slide d’Andy York, était saisissante, mais If I Die Sudden, livrée dans le dernier droit, était tout simplement meurtrière.
Aura de mystère
En ayant ralenti les tempos de ses classiques des années 1980, Mellencamp donne une toute autre dimension à son oeuvre. Ce qu’il perd en rythme et en puissance pure « Rock N’ Roll », il le bonifie avec une instrumentation épurée mais incisive. Les couches de violon de Miriam Sturm sont plus colorées que jamais, la guitare de York est chirurgicale, alors que les offrandes possèdent une aura de mystère qui n’existait pas dans le temps.
Paper In Fire, avec les spots dans le visage de Mellencamp, menait à une ambiance de film noir. Et Rain On the Scarecrow était tellement menaçante que je vous jure qu’on imaginait l’épouvantail… Quant à Check It Out, c’était peut-être une des plus belles versions jamais entendues, gracieuseté de l’instrumentation minimaliste du premier tiers du spectacle qui comprenait contrebasse, violon, accordéon, banjo et percussions. Sans nul doute, la perdante fut Authority Song, qui a ouvert le show, passablement désamorcée en regard de sa fougue habituelle. Mais il faut parfois faire des choix artistiques.
Un homme et sa guitare
Si l’ami Johnny s’offre depuis des lunes un volet acoustique, dans la Wilfrid, c’était meilleur que jamais. Il y a peu de mots pour décrire la beauté de Jackie Brown, livrée guitare-voix-violon. Et quel plaisir pour la foule de chanter à s’égosiller le refrain de Jack & Diane avec John uniquement armé de sa guitare. Des hymnes comme ça… Frissons garantis.
Ceux qui sont moins familiers avec les récents titres ont visiblement été renversés de la chanson d’espoir qu’est Save Some Time To Dream, de la rédemption qui émane de A Ride Back Home et de l’humanité de Longest Days, quand Mellencamp parle de sa grand-mère morte à cent ans qui fut l’inspiration de cette chanson. De voir un des meilleurs singers-songwriters de sa génération être à quelques pieds de nous et se livrer à nu ainsi est révélateur de son âme.
C’était dans le ton du film – un peu longuet et répétitif – présenté en guise de première partie qui retrace la tournée de 2010 de Johnny. Même intention, quoique la performance en spectacle n’avait pas le petit côté complaisant du film. Cela dit, ça valait bien des mauvaises premières parties.
Bon survol
Entre l’équilibre proposé des bombes du passé retravaillées et les récentes compositions, à mi-chemin entre l’acoustique et l’électrique, Mellencamp a pas mal fait le tour du répertoire. Pink Houses, sa chanson cynique de l’Amérique, était à la hauteur du passé.
Il a également extirpé une fichue de rareté de son catalogue, Circling Around The Moon, un titre pas marquant de Mr Happy Go Lucky (1997), qui était toutefois goûteux au possible avec sa rythmique lourde et modifiée. Du travail à la Springsteen. Encore plus vrai avec la nouvelle Easter Eve, qui était presque autant narrée et interprétée (comme un acteur) que chantée. Là, Johnny faisait tellement penser à son pote Bruce.
Je lui pardonne d’avoir fait impasse sur Crumblin’ Down – une première en trois décennies pour moi – , tellement sa version de R.O.C.K. In the U.S.A., qu’il remise occasionnellement, était jubilatoire.
Mais comme tous ne sont pas familiers avec sa façon de faire, il aurait dû sortir de scène avant de conclure avec l’excellente Cherry Bomb. Les vieux habitués, on avait compris ce que son geste de la main («cut») voulait dire. Mais pour plusieurs, ce spectacle pourtant généreux de deux heures n’aura pas eu de rappel.