
Tony Levin et Robert Fripp en photographes amateurs au terme du triomphal concert de King Crimson. Photo Frédérique Ménard-Aubin/Courtoisie FIJM
On peut débattre jusqu’à demain matin, mais il est difficile de penser qu’un groupe dont les racines remontent au tournant des années 1960-1970 puise être aussi pertinent, musicalement parlant, que King Crimson l’a été lundi soir, à la salle Wilfrid-Pelletier.
Par Philippe Rezzonico
On sait que la formation actuelle regorge de musiciens chevronnés, mais encore faut-il livrer la marchandise. Ce que l’on a entendu était probablement au-delà des attentes les plus folles de n’importe quel amateur de longue date du groupe, ce qui, dans les faits, représentait le profil du festivalier qui s’était déplacé pour assister à cette soirée au Festival de jazz.
Collectif à géométrie variable selon les périodes, King Crimson revenait à Montréal avec pratiquement la même formation qu’en 2015, au théâtre St-Denis : Robert Fripp (guitare), Tony Levin (basse, Chapman stick), Jakko Jakszyk (guitare, voix), Mel Collins (saxophone, flute), Pat Mastelotto (batterie, percussions) et Gavin Harrison (batterie, percussions) étaient de la partie. Bill Rieflin y était aussi, mais pas en qualité de batteur comme en 2015. Cette fois, il était là exclusivement en qualité de claviériste. Jeremy Stacey avait pris sa place à la batterie centrale.
King Crimson, en 2017 comme il y a 40 ans, c’est la quintessence de la cohésion sur scène. Une unité musicale soudée au quart de tour qui, néanmoins, conserve un élément de spontanéité. Il va de soi que la présence de trois batteurs donne un air de fraîcheur à des instrumentales d’antan comme la magnifique Islands, qui a clôt une première partie solide… Première partie qui n’était qu’un amuse-gueule, en définitive.
D’entrée de jeu, en ouverture de la seconde, une Pictures of a City presque féroce a donné le ton, aussitôt enchaînée avec Indiscipline, où le Chapman stick de Levin a fait merveille. Mon voisin de siège a hurlé sa joie dès les premières notes. C’était intense, mais peut-être pas autant que Easy Money, qui a eu droit à une ovation au terme de son interprétation.
Encore plus que lors du spectacle au théâtre St-Denis, King Crimson avait des allures de band de jazz. En bonne partie en raison de l’importante contribution de Collins durant toute la soirée, mais aussi en raison du choix des pièces. The Letters, c’est probablement plus du jazz-fusion que du rock progressif. En fait, c’est free en diable!
À l’avant-scène, comme il y a deux ans, les batteurs Mastelotto, Stacey et Harrison étaient totalement complémentaires : ils pouvaient être en synchronisme parfait digne d’un métronome, mais les trois hommes pouvaient également se relancer selon les situations et les tempos, vraiment pas conventionnels avec King Crimson.
Au-dessus de ses sujets, Fripp, discret et économe, mais en belle forme quand venait le temps d’offrir ses lignes de guitares incisives, observait le tout comme le monarque qu’il a toujours été au sein de ce groupe qui lui appartient à tout jamais.
Pas d’effet spéciaux lors d’un spectacle de King Crimson. Toute la prestation a été offerte sous des lumières blanches, sauf durant une immense Starless, baignée dans la lumière rouge, qui a jeté sur le cul tous ceux qui ne l’étaient pas déjà.
Au rappel, l’emblématique The Court of the Crimson King a été suivie par Heroes, de David Bowie, enregistrée en 1977 avec un guitariste nommé… Robert Fripp. Fort bel hommage.
Au terme de 21st Century Schizoid Man, Tony Levin a sorti sa caméra, signal pour l’assistance de prendre des photos ou des vidéos. La consigne a été scrupuleusement suivie durant la soirée. Anyway… Tout le monde était là pour entendre avant tout. Et nous avons peut-être eu droit à l’un des plus grands concerts de la longue histoire de King Crimson. Rien de moins.