La beauté en clair-obscur de City and Colour

City and ColourIl y a des artistes qui entrent dans nos vies sans heurts. Presque naturellement, pourrais-je ajouter. Parfois, tout simplement par l’entremise d’une mélodie entendue une fois au détour d’une rue. City and Colour a un peu la même approche sur scène.

Par Philippe Rezzonico

Peu importe si nous posons le geste collectif de nous rendre fort nombreux dans un amphithéâtre comme celui du Canadien, le groupe de Dallas Green n’est pas du genre à nous agresser avec des tonnes de décibels.

Ça débute presque en douceur ce spectacle avec Woman, où la voix si particulière de Green survole avec aisance les instruments, sauf durant le pont musical durant lequel les guitares signifient leur présence.

Durant les 40 premières minutes de ce spectacle de deux heures, City and Colour me donne l’impression d’être en apnée. Sentiment qui se mesure presque en observant la foule jeune et largement dominée par la gent féminine. Cette assistance policée au possible écoute religieusement les chansons qui défilent.

Northern Blues, notamment, pose l’une des innombrables questions existentielles qui sont le lot de Green : « je cherche des réponses. ». C’est probablement l’une des raisons de l’intérêt que suscite City and Colour auprès de son public. Green n’est certes pas un torturé à la Thom Yorke, mais bien des gens se reconnaissent à travers ses chansons.

« There goes my life », dit-il, durant Hello, I’m In Delaware, quand les cellulaires illuminent le Centre Bell, plongé dans une ambiance pas très différente de celle que l’on peut retrouver à un spectacle de Pink Floyd, les hectolitres de bières et les substances illicites en moins.

Difficile, d’ailleurs, de ne pas adhérer à sa vision à l’écoute de If I Should Go Before You. Terrible chanson d’amour, celle-là. Et difficile de ne pas tous nous reconnaitre dans Killing Time.

Il y a une réelle notion de beauté dans la musique de City and Colour, mais une beauté qui serait comme une lumière un peu diffuse, en clair-obscur. Bien présente, mais pas éclatante. Toute en subtilité.

Green et ses collègues ont tellement bien réussi à faire plonger le public dans leur univers, que le chanteur s’est senti obligé de demander aux spectateurs de se lever avant l’interprétation de Wasted Love. Un peu comme si le chanteur craignait que la foule demeure confortablement assise à l’écoute de l’une des rares chansons du groupe ayant un tempo qui incite à danser.

Cela a surtout permis de savourer encore plus Lover Come Back qui suivait, ballade irrésistible que l’on entend autant sur des stations radiophoniques si disparates que Énergie et CHOM FM.

Des chansons d’amour et de ruptures, City and Colour, en a quelques-unes dans son répertoire, entre autres As Much Has I Ever Could, offerte avec une instrumentation musclée, ou Sleeping Sickness, que Green a enregistrée avec Gordon Downie, des Tragically Hip, dont les premières notes ont fait lever tout le monde sans aucune demande préalable.

À l’origine, City and Colour était le projet acoustique de Green, que l’on a connu au sein de Alexisonfire. Ce dernier trouve tout son sens quand il livre des compositions rassembleuses qui pourrait être interprétées uniquement en mode voix-guitare.

C’est que Green fera avant l’ultime rappel, en rendant hommage à Downie – dont on a appris récemment qu’il souffrait d’un cancer au cerveau incurable – en chantant Bobcaygeon. Splendide et touchant. Je me dis que le type qui était assis derrière moi n’a pas reconnu la chanson ou s’est fait traîner au spectacle par sa blonde, parce que le commentaire « on vient de perdre cinq minutes » était un tantinet irrespectueux et démontrait le manque de culture musicale du principal intéressé.

Coming Home, chantée à l’unisson avec la foule, et enchainée avec This Could Be Anywhere in the World, fut un grand moment, mais The Girl, sa mélodie accrocheuse, ses effluves d’harmonica, le tout, interprété en solo et avec le groupe sur deux tempos (lent et effréné, comme sur la version studio), était rien de moins que magnifique. Comme si la beauté en clair-obscur de City and Colour venait de crever les nuages et d’éclater au grand jour.