La plupart des artistes qui viennent jouer au Festival de jazz arrivent avec leurs compositions et leurs musiciens. Ravi Coltrane n’a pas fait exception pour son deuxième volet de sa série Invitation au Gèsu, mais il avait aussi amené sa famille élargie.
Par Philippe Rezzonico
Et pour être bien sûr que tout le monde soit sur la même longueur d’ondes, il a rectifié l’annonce faite par la présentatrice d’entrée de jeu. Oui, E. J. Strickland était bien là, mais à la batterie. Le guitariste Adam Rogers également, mais Dezron Douglas était à la contrebasse et non pas Yunior Terry. Il y avait une erreur dans le programme.
L’entrée en matière n’était pas révolutionnaire. Pour Marylin & Tammy, pièce tirée de l’album de 2012 de Ravi (Spirit Fiction), Coltrane et ses collègues ont aligné les solos après avoir lancé les bases de la composition dont le titre est un hommage aux tantes du jeune Coltrane.
Enfin, jeune… À 51 ans, Ravi Coltrane a désormais vécu une décennie de plus que son légendaire paternel mort bien trop tôt, à l’âge de 40 ans. Il a pourtant conservé un faciès de jeune homme qui devient plus mature quand il remet ses lunettes de correction.
L’enchaînement avec une autre composition de Ravi a permis de mesurer une meilleure complémentarité entre les instrumentistes, en dépit du fait que Coltrane laissait beaucoup (trop?) de place à Rogers. Autre constat, qui s’est confirmé à maintes reprises au cours de la généreuse prestation d’une heure et 45, les quatre messieurs n’avaient pas joué très souvent ensemble les originales de Ravi Coltrane.
Sauf Strickland, Coltrane, Rogers et Douglas ont passé la soirée à regarder leurs partitions posées sur les lutrins. Cela n’a pas empêché de saisir les belles nuances et les climats particuliers des compositions de Coltrane, mais la spontanéité était souvent évacuée au profit de ce qui semblait être un cours de jazz didactique.
Le contraste était d’autant plus saisissant quand le quartette s’est lancé à corps perdu dans Round Trip, une composition éclatée du saxophoniste Ornette Coleman qui a été éclatante au possible. Le géant Coleman, évidemment un membre de la famille élargie des Coltrane, du moins, au plan musical.
Ravi avait même invité des amies de chez nous. Il a annoncé une composition de son cru écrite pour quelqu’un de Montréal, vraisemblablement une dénommée Cynthia, car il s’agit du titre de la composition. Lyrisme splendide de sa part
Coltrane a ensuite pris longuement le temps de parler de la grande pianiste Geri Allen, disparue il y a quelques semaines.
« Je me souviens comment elle m’avait pris sous son aile quand j’ai commencé, au début des années 1990 », a dit Ravi, visiblement ému.
Et pour honorer la mémoire de la disparue, Ravi et ses potes ont enchaîné avec Swamini, une composition de Geri Allen dédiée à la mémoire d’Alice Coltrane – elle-même pianiste -, la mère de Ravi. Moment magique.
Un peu comme si le cahier de charges était complet, le quartette a bouclé la prestation et le rappel avec trois compositions fougueuses qui ont fait vibrer le Gesù. Fini les hommages, on s’éclate ensemble.
Si, de temps à autre, Ravi fait penser à son père, tant au niveau de son jeu que de sa stature, il est indiscutable qu’il est affranchi – et depuis un certain temps, déjà – du poids de l’héritage incalculable du paternel.
Une dernière demi-heure mémorable pour terminer en beauté ce qui fut, en définitive, une fichue de belle réunion de famille et de proches.