Par le plus grand des hasards, Lady Gaga est venue présenter sa tournée Born This Way au Centre Bell le même jour que le pape Benoît XVI a démissionné. Comme si la Lady devait maintenir l’équilibre de l’univers après que la religion catholique ait occupé le dessus du pavé toute la journée durant.
Par Philippe Rezzonico
Born This Way, donc. Née ainsi, pourrait-on traduire. Née pour être damnée, a-t-on le goût d’ajouter, au terme de cette prestation qui aurait soulevé l’opprobre du Vatican et de son souverain pontife.
Il est fascinant de voir à quel point l’artiste américaine joue avec les symboles chers à l’église dans ce spectacle de deux heures et demie où elle tente d’imposer sa vision d’un monde renouvelé.
Avec des chansons comme Black Jesus, Bloody Mary et Judas, Lady Gaga impose une imagerie qui chevauche divers aspects de la religion dans un décor (fabuleux château médiéval) qui nous ramène à un moment de l’Histoire où la religion était si imposante qu’elle dictait les guerres.
Évidemment, la perspective de Lady Gaga n’est certes pas celle du clergé qui l’excommunierait illico ou l’enverrait au bûcher, selon le pays ou l’époque retenue.
Images fortes
Depuis ses débuts, l’Américaine a su imposer des images fortes dans ses spectacles et elle ne fait pas exception dans cette virée. En ouverture, elle offre Highway Unicorn alors qu’elle chevauche une licorne mécanique au sein d’un cortège qui défile sur la passerelle en boucle au parterre.
Elle vient littéralement au monde durant Born This Way en se glissant dans le bas du corps d’une poupée représentant une femme enceinte pour en ressortir par son ventre et s’élancer avec ses danseurs dans une chorégraphie endiablée. La genèse, selon Lady Gaga.
Pour Bad Romance (l’explosion!), elle sort d’un œuf, comme elle l’avait fait lors de la cérémonie de remise des prix Grammy en 2011.
Au cours de cette succession de numéros qui bénéficient d’une production élaborée, on verra Lady Gaga se faire peloter par une danseuse alors qu’elle conduit sa moto durant Heavy Metal Lover, se déplacer comme sur un nuage (plateforme électrique noyée dans la fumée) lors de Bloody Mary, ainsi qu’être suspendue à côté de quartiers de viande, clin d’œil à sa fameuse robe faite de viande. Elle passera aussi au hachoir à viande, tout comme ses danseuses. Non, Benoît XVI n’apprécierait pas. Quoique dans ce dernier cas…
Maturité
Rarement on a vu une artiste se servir à profusion de toutes les possibilités de sa scène gigantesque. On a vu Gaga danser sur les remparts, chanter sur le pont-levis et jouer du clavier dans les tourelles, telle une Juliette universelle qui a l’intention de s’adresser à bien plus qu’un seul Roméo. Et très souvent en français.
Depuis son premier spectacle au Métropolis en 2009, l’artiste a gagné en maturité après avoir offert quelques tournées où elle avait du mal à conserver son équilibre sur les planches. Elle danse mieux et les chorégraphies de groupe sont efficaces, à défaut de réinventer la roue. Et s’il y a du play-back, ici et là, la dame a une voix puissante qu’elle met en évidence à profusion.
En revanche, elle appuie un peu trop son propos. Quand elle s’offre la tirade sur la différence (hommes, femmes, gais, noirs, blancs, beiges…), j’ai l’impression d’entendre Barbra Streisand radoter des évidences durant les années 1990. Idem quand elle s’offre sa portion «solo» (You and I et Born This Way aux claviers).
Au lieu de les chanter, elle s’interrompt constamment pour jaser avec l’heureux spectateur qu’elle a contacté sur son cellulaire (c’était dans le cadre d’un concours avec le public).
Savoir doser
Il y a quatre ans, ce segment était un délice. Là, ça faisait prêchi-prêcha, et ça servait à parler de sa fondation. Je comprends que ses propos peuvent être importants pour la nouvelle génération en quête de repères dans notre société de fou. Et c’est pour une bonne cause. Mais il faut savoir intégrer le tout sans gâcher les chansons. Comme il faut savoir ne pas monter sur scène une heure (!) après la fin de ta première partie, mais ça, c’est une autre histoire.
Si personne ne va contester l’efficacité de l’offrande (quelle pétarade durant Scheibe!), on ne peut s’empêcher de noter que Lady Gaga aime bien copier les dames ses modèles. Quand elle relève sa jupe au bout de la passerelle pour montrer ses fesses, elle plagie Madonna au centuple. Même la pose est identique…
Mais cela importait peu aux 13 649 fans présents à son spectacle, ses «petits monstres», certains étant déguisés, maquillés et grimés avec autant d’éclat et de folie qu’elle. Surtout à ceux qu’elle a fait monter sur scène pour la finale de Marry the Night. Même Stefani Joanne Angelina Germanotta avait l’air émue de l’accueil délirant du public.
Peut-être, comme elle le dit, parce qu’elle assume ce qu’elle est et qu’elle se fiche royalement de ce que les gens pensent d’elle, au point d’utiliser le mot de quatre lettres très souvent.
Ça non plus, le démissionnaire n’aimerait pas. Mais à en juger par le volume de décibels entendus hier soir, je me dis que Lady Gaga va récolter durant cette tournée un concert de louanges bien supérieur à celui qui va souligner le départ de Joseph Alois Ratzinger.