Le week-end dernier, Cyndi Lauper est venue à Montréal présenter sa tournée She’s So Unusual qui visait à célébrer le 30e anniversaire de son disque-phare. Au menu, l’interprétation en séquence de toutes les chansons du disque de 1983.
Par Philippe Rezzonico
Le spectacle aura mené à des moments très forts et à des creux de vague. Si certains hauts et bas sont directement tributaires des choix de l’artiste, d’autres sont intimement liées à la nature de l’offre artistique. Car un spectacle bâti autour d’un disque spécifique demande un mode d’emploi particulier.
Ce n’est pas d’hier que les artistes interprètent un disque de bout en bout, mais c’est devenu une tendance lourde depuis quelques années. Quelques constats s’imposent.
L’ère vinyle
Si de jeunes groupes tentent parfois l’expérience, ce sont d’ordinaire des bands ou des artistes d’un certain âge qui jouent ce jeu vaguement nostalgique. En clair, ce sont le plus souvent des disques parus à l’ère du vinyle. Donc, limités rayon durée, sauf dans le cas d’un album double.
Sur ce plan, Cyndi a été un peu chiche. Outre l’intégrale de son disque, la totalité des autres chansons n’aura guère pris plus d’un quart d’heure à livrer au rappel, même si les gens étaient heureux d’entendre The Goonies « R » Good Enough. Rien à voir avoir Bruce Springsteen qui joue intégralement Born To Run ou The River et qui ajoute tellement de chansons qu’il franchi la barre des trois heures de spectacle.
Les bombes
Pour se livrer à cet exercice, ça prend des bombes. Et des bombes, Cyndi Lauper en a une demi-douzaine. Qu’il suffise de nommer Money Changes Everything (quelle voix à 60 ans!), Girls Just Want To Have Fun (comme d’habitude, le délire total), Time After Time (pas mal sabotée), She Bop (fougueuse au possible), All Through the Night (fabuleuse) et True Colors – qui ne figure pas sur She’s So Unusual (au rappel).
Le hic, c’est que les cinq premières chansons que je viens de nommer ci-haut sont parmi les six premières du disque. Et quand tu commences le spectacle en interprétant l’album d’emblée, ça veut dire que toutes les bombes sont jouées lors des 45 premières minutes… Un album intégral possède un carcan bien défini et l’artiste doit composer avec cette contrainte.
Ce n’est pas que le reste du disque ne vaut pas le coup, bien au contraire. Vous ne pouvez savoir à quel point j’avais le goût d’entendre Witness (excellente), I’ll Kiss You (solide) et Yeah Yeah (irrésistible). Mais à part les deux filles à ma gauche qui chantaient toutes les paroles de I’ll Kiss You, la plupart des gens venaient entendre les tubes.
Sauf que Cindy n’a pas le catalogue volumineux d’un Brian Wilson qui peut faire une première partie avec 12 succès des Beach Boys, enchaîner avec l’intégrale de Smile, puis offrir une autre demi-douzaine de tubes des garçons de plage. Pas plus que celui de Jean-Pierre Ferland qui peut livrer Jaune en première partie et savoir qu’il a encore des tas de munitions dans la seconde. Sauf qu’il faut penser à ça avant de partir en tournée…
Vous le savez, je suis un peu historien de la musique à mes heures. Bref, qu’une artiste nous parle dans le détail de la genèse de certaines chansons, j’adore ça. Mais Cyndi n’a pas bien équilibré ses discours. Dix minutes de bla-bla entre Time After Time et She Bop, c’est trop. Sauf qu’en rétrospective, j’aurais bien aimé que Van Morrison nous parle du splendide Astral Weeks avant de nous l’interpréter il y a quelques années. Bref, je ne vais pas jeter la pierre à la rouquine.
En définitive, il faut être prudent quand on décide de vivre avec un tel concept. Ça plaira forcément aux fans purs et durs, mais il y a toujours des spectateurs qui vont voir des artistes pour une première fois.
La meilleure solution est peut-être celle proposée par Les Cowboys fringants en décembre 2002, quand ils ont interprété la totalité des titres des disques 12 grandes chansons, Sur mon canapé…, Motel Capri et Break syndical dans cinq salles de spectacles de Montréal.
L’astuce? Ce fut de jouer toutes les chansons d’un disque chaque soir… mais pas dans l’ordre chronologique de l’album. Ça offre une souplesse dans la séquence de chansons et ça ne gâche pas le plaisir des amateurs qui ont droit à tous les titres.
Quoique cela dépend aussi du genre de musique. L’offrande des titres en séquence est indispensable pour un Roger Waters qui vient nous livrer The Dark Side of the Moon ou The Wall – des disques qui racontent une histoire -, mais pas vraiment pour un album comme She’s So Unusual, créé à l’époque de MTV, où chaque chanson était un clip distinct.
C’est probablement ça, la grosse erreur de la petite dame à la voix qui peut encore déplacer des montagnes.