Tel un météore, le trompettiste Clifford Brown a traversé trop rapidement le ciel jazzistique. Il a formé, avec Max Roach, un des groupes phares du hard bop. Et ce At Basin Street est le joyau le plus précieux d’une mine déjà fort riche.
Par François Vézina
« Aucune trompette (…) n’a soulevé tant d’intérêt et d’enthousiasme parmi ses confrères que Clifford Brown », avait écrit le grand critique Nat Hentoff à l’époque (*).
Qui en douterait encore après l’écoute de ce disque ?
Tout au long de l’album – qui n’a pas été enregistré en spectacle contrairement à ce que le titre laisse entendre -, Brown fait l’étalage de ses multiples talents et de son charisme exceptionnel: sens du phrasé, précision des articulations, sonorité éclatante, virtuosité maîtrisée.
Le pianiste Ritchie Powell – le frère de Bud – a gagné du galon. En plus de signer les arrangements de huit des neuf morceaux de l’album, il a apporté trois superbes compositions (l’endiablée Powell’s Prances, la très belle Time et l’enjouée Gertrude’s Bounce).
Les arrangements de Powell sont soignés, nuancés et novateurs. Les pièces ne sont pas toujours lancées à l’unisson, un instrument pouvant servir parfois de contrepoint à un autre.
L’autre patron de la formation, le maître-batteur Max Roach, assume son rôle de stabilisateur tout en lançant de multiples solos variés, tandis que George Morrow ne sort pas de son rôle de métronome.
À une formation déjà solidement établie vient s’ajouter une autre étoile montante: le déjà renommé Sonny Rollins, qui remplace Harold Land, pourtant fort méritant sur les deux albums précédents.
Le jeu parfois rugueux du saxophoniste apporte un éclairage complémentaire au jeu de Brown. Si le trompettiste fait preuve de son assurance habituelle, Rollins joue comme s’il cherchait une perfection qu’il repousse de plus en plus loin à chaque note qu’il souffle dans son instrument.
Tous deux s’entendent comme larrons en foire. Leur belle entente donne du lustre aux superbes versions de What Is This Thing Called Love et Love Is A Many Splendored Thing.
Le jazz est une de ces choses splendides de la vie quand il est joué par d’aussi bons musiciens. Ah, cette formation était vraiment vouée à un très grand avenir mais le destin allait en décider autrement.
En juin 1956, Brown et Powell trouvèrent la mort dans un accident automobile.
Cruelle ironie, Love Is A Many Splendored Thing est aussi un film dont le titre français est La Colline de l’adieu.
À noter que même si cet album est le dernier sorti officiellement sous le nom de la formation, il n’a pas tout à fait une valeur testamentaire. Les cinq hommes se réuniront de nouveau, en mars 1956 pour un bel album qui sera attribué à Rollins (Sonny Rollins + 4).
(*) Cité par VIAN Boris, Chronique de jazz, 10/18, p. 256.
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Le top-50 de Frank (12): Clifford Brown and Max Roach Quintet, At Basin Street
Étiquette: Emarcy
Enregistrement: 4 janvier 1956, 16 février 1956
Durée: 73:58
Musiciens: Clifford Brown (trompette), Max Roach (batterie), Sonny Rollins (saxophone ténor), Ritchie Powell (piano), George Morrow (contrebasse)