Le Top 50 de Frank (13): nuits chaudes à Saint-Germain

À défaut d’être la capitale du jazz, Paris est, sans l’ombre d’un doute, l’un de ses châteaux forts intellectuels. Et quand, en décembre 1958, Art Blakey vient animer de sa verve coutumière les nuits de Saint-Germain-des-Prés, il n’est pas surprenant qu’on lui ait réservé un accueil triomphal.

Par François Vézina

Preuve à l’appui: cet album, véritable mine de joyaux précieux.

Il faut dire que Blakey et ses Messagers n’étaient pas arrivés à Paris les mains vides.

Ils ont apporté avec eux un solide répertoire propre à faire lever la température de n’importe quelle salle: un standard revigoré (Like Someone In Love), des classiques du bop (Evidence, Now’s The Time) et des compositions déjà connues du directeur musical du groupe, Benny Golson, dont la toujours belle Whisper Not, que le saxophoniste a apportées dans ses bagages.

La formation a réservé une belle surprise à ses admirateurs parisiens qui auront droit à de l’inédit: trois pièces d’un album voué à un bel avenir, enregistré deux mois auparavant mais pas encore publié: Moanin’.

C’est Noël.

Ainsi sont livrées en pâture à un auditoire époustouflé qui n’en demandait pas tant Moanin’ (alors intitulée Moanin’ with Hazel), Blue March et Along Came Betty (facétieux, Blakey l’a alors rebaptisée Along Came… Manon, bonjour public français).

Ah, Blue March. Cette marche déglinguée marquera les jazzophiles français: elle était l’indicatif d’une émission radiophonique quotidienne de jazz diffusée alors à heure de grande écoute sur Europe no 1.*

O Tempera! O Mores!

Louez les Messagers

Comme d’habitude, Blakey a eu la main heureuse en conviant ses collaborateurs de Moanin’ à l’aventure parisienne.

Golson, non seulement est-il un compositeur doué, mais il est aussi un saxophoniste accompli. À ses côtés se déchaîne un tout jeune Lee Morgan, qui, tout en assumant dignement l’héritage laissé par Clifford Brown, Kenny Dorham et Donald Byrd, tente de trouver sa propre voix.

Derrière le clavier, le brillantissime Bobby Timmons, heureux compositeur de Moanin’. Le pianiste a le don d’emballer les foules. Il faut entendre les spectateurs lui crier «All night long!» pendant son grisant solo dans Politely, la pièce qui donne le ton à l’album, ou accorder leur approbation dès les premières notes de Moanin’.

Les trois solistes peuvent compter sur leur patron et Jymie Merritt pour assurer les arrières du groupe.

Quelle énergie! Quelle cohésion!

Et, dernière surprise pour l’auditeur de l’album et les gens réunis au célèbre club St-Germain, ce soir-là. Blakey prend la pause pendant A Night in Tunisia. Qui pour le remplacer ? Rien de moins que son collègue es innovations rythmiques, le toujours fougueux Kenny Clarke, installé à Paris, qui profite du moment pour ne pas se faire oublier par ses compatriotes.

Et c’est ainsi qu’en décembre 1958, le club de la rue St-Benoît, au cœur du VIe arrondissement, a été le théâtre d’un véritable festival de feux d’artifice.

Même à l’échelle sonore, Paris a, une fois de plus, mérité son surnom de «Ville-Lumière».

* L’un des co-animateurs s’appelle Daniel Fillipacchi, mieux connu pour avoir fondé un des magazines phares de la pop française Salut les Copains et, surtout, pour avoir racheté Paris Match. Comme quoi, le jazz peut mener à tout.

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Le Top-50 de Frank (13): Art Blakey and the Jazz Messengers, Au Club Saint-Germain (2 cd)

Étiquette: RCA Victor

Enregistrement: décembre 1958

Durée: 66:27 (disque 1), 61:57 (disque 2)

Musiciens: Art Blakey (batterie), Benny Golson (saxophone ténor), Lee Morgan (trompette), Bobby Timmons (piano), Jymie Merritt (contrebasse), Kenny Clarke (batterie)