Lorsque mon réalisateur préféré (Bertrand Tavernier) tourne un film sur mon style musical favori (devinez lequel), il ne faut pas trop s’étonner de me voir grimper au septième ciel pour crier au génie, tant au point de vue cinématographique que musical.
Par François Vézina
Le film Autour de Minuit (Round Midnight) raconte une belle histoire d’amitié entre un fou de jazz et Dale Turner, un saxophoniste expatrié à Paris (brillamment interprété par un Dexter Gordon, candidat à l’Oscar, bouleversant de vérité). Avouons-le: c’est mon film à île déserte.
Mais je ne hante pas ces pages pour parler de cinoche.
Parlons de la musique du film, aussi sensationnelle que le long-métrage lui-même. L’album s’écoute fort bien même si Autour de Minuit a échappé à votre vigilance.
Les choix de Tavernier comptent beaucoup dans la réussite de l’album.
Première idée: se concentrer sur un adepte du hard bop. Autour de minuit n’est pas un film axé sur l’avenir du jazz, c’est plutôt un film de mémoire. D’où le choix d’un répertoire comportant des thèmes mémorables.
Autre grande idée: confier les rôles de musiciens à de vrais musiciens tels Wayne Shorter, Tony Williams ou Bobby Hutcherson.
Mais le coup de maître est l’embauche d’Herbie Hancock à titre de conseiller musical. Non seulement le pianiste, qui joue aussi dans le film, a-t-il apporté une crédibilité certaine au projet, mais Dexter Gordon et lui ont convaincu Tavernier de laisser les coudées franches aux musiciens et de ne pas les faire jouer comme si l’horloge du temps s’était arrêtée en 1960.
Deux superbes compositions de Hancock ajoutent d’ailleurs une coloration résolument moderne à la bande-son.(*)
Moments de grâce
La confiance de Tavernier envers ces musiciens émérites est bien récompensée car les moments de grâce succèdent aux moments de grâce du début à la fin de l’album.
La voix de Bobby McFerrin fait merveille et donne du lustre à une très jolie version de Round Midnight et à la très touchante Chan’s Song.
La vigoureuse conversation entre Dexter Gordon et Wayne Shorter illumine Una Noche con Francis.
Gordon, merveilleux mélodiste, enrichit Body and Soul de sa chaude sonorité.
Le toujours étonnant Shorter soliloque avec brio en réinventant The Peacocks.
Lonette McKee interprète de façon sensuelle, mais sans plonger dans la vulgarité, How Long Has This Been Going On (je ne peux pas m’empêcher de chalouper chaque fois que je l’entends chanter «Kiss me once, then one more»).
Chet Baker, à la voix toujours fragile, reprend magistralement Fair Weather (ironiquement dans le film, on n’entend cette chanson qu’en arrière-plan, jouée à la radio, pendant une scène).
Une bande de musiciens s’éclate en jouant une version costaude de Rhythm-a-Ning.
Après l’écoute de cet album, on ne peut que tomber d’accord avec Gordon/Turner: « le bonheur est une anche Rico humectée ».
(*) Le travail de Hancock sera bien récompensé lui aussi: à titre de producteur, il obtiendra l’Oscar de la meilleure musique. Comme si Hollywood avait alors voulu se réconcilier avec le jazz.
——————–
Le Top-50 de Frank (18): Artistes variés, Round Midnight
Étiquette: Columbia
Enregistrement: 1985
Durée: 51:21 (11 plages)
Musiciens: Dexter Gordon (saxophone ténor), Herbie Hancock (piano), Cesar Walton (piano), Bobby McFerrin (voix), Lonette McKee (voix), Freddie Hubbard (trompette), Chet Baker (trompette, voix), Wayne Shorter (saxophone ténor, saxophone soprano), Tony Williams (batterie), Billy Higggins (batterie), Pierre Michelot (contrebasse), Ron Carter (contrebasse), Bobby Hutcherson (vibraphone), John McLaughlin (guitare).