Le Top 50 de Frank (22): merci papa!

Sur la pochette, la splendide photo d’un vieux monsieur, assis, coiffé d’un panama, cigare à la bouche, l’œil vif, l’allure espiègle: c’est le papa d’Horace Silver à qui le pianiste rend un bel hommage.

Par François Vézina

Ah! Heureux les pères qui inspirent de si jolies choses à leur enfant.

Un piano hypnotisant, un rythme de bossa, un air accrocheur comme Silver en avait le secret. D’entrée de jeu, la pièce-titre, véritable quintessence de ce jazz soul qui fit les beaux jours de Blue Note, place la barre très haute.

Les fans de Steely Dan y reconnaîtront sûrement l’intro de Rikki Don’t Lose My Number.

Les trois autres morceaux issus de cette séance oscillent entre un hard bop entraînant et des effluves exotiques apaisantes, avec un égal bonheur. Joe Henderson, encore marqué par le jeu de Coltrane et Rollins (on peut faire pire comme source d’inspiration), est fabuleux d’inventivité et d’énergie.

Le saxophoniste a apporté une de ses compositions, The Kicker, un morceau rentre-dedans corsé par des arrangements dignes d’une grande formation.

Mais quatre pièces totalisant 26 minutes ne suffisent pas à lancer un long-jeu (comme on disait à l’époque).

Blue Note, pressé et convaincu du potentiel commercial de l’ensemble, ne veut pas attendre une autre séance. Il ajoute deux prises enregistrées un an plus tôt par Silver et une autre formation.

Le pianiste, comme pour bien marquer sa fidélité à son nouveau groupe, choisit deux morceaux où on entend peu ses anciens musiciens: une fort jolie ballade, Lonely Woman, jouée en trio, et Calcutta Cutie, où, après une brève exposition du thème par le sax et la trompette, le pianiste se lance dans un démentiel dialogue avec… lui-même.

Une longue gestation

L’album est un miracle en soi. Sa gestation aura nécessité trois séances d’enregistrement étalées sur un an.

Une première en octobre 1963 avec les musiciens qui l’accompagnaient depuis plus de quatre ans.

Une deuxième, en janvier 1964 avec les mêmes. Elle sera si peu satisfaisante que les bandes dormiront quelques temps sur les tablettes.

La dernière, réalisée 10 mois plus tard, sera la bonne.

Mais entre-temps, Silver, sur les conseils du patron de Blue Note, aura fait table rase. Bonsoir Mitchell, Cook, Taylor et Brooks. Bonjour Henderson, Jones, Smith et Humphries.*

Les quatre pièces enregistrées ce jour-là formeront la base sur laquelle reposera l’album. Pour notre plus grande joie.

Quelque vingt-cinq ans plus tard, au moment d’éditer Song for My Father en album compact, Blue Note choisit d’y ajouter quatre autres pièces issues des séances d’octobre 1963 et janvier 1964.

Elles sont intéressantes dans la mesure qu’elles confirment le bien-fondé du jugement de Silver à l’époque: le quintette formé à la fin des années 1950 montre bien des signes d’essoufflement.

Fort heureusement, la relève était prête. Fringante. Comme Silver.

* Le journaliste Bob Blumenthal le raconte fort bien dans le texte du livret.

Le Top-50 de Frank: Horace Silver, Song for My Father

Étiquette: Blue Note

Enregistrement: octobre 1963, janvier 1964, octobre 1964

Durée: 61:11

Musiciens: Horace Silver (piano), Joe Henderson (saxophone ténor), Carnell Jones (trompette), Teddy Smith (contrebasse), Roger Humphries (batterie), Blue Mitchell (trompette), Junior Cook (saxophone ténor), Gene Taylor (contrebasse), Roy Brooks (batterie)