Le Top 50 de Frank (10): le colosse de New York

FIJM, 5 juillet 1996. Dans la salle Wilfrid-Pelletier, nous attendons avec impatience l’arrivée d’un géant nommé Sonny Rollins. Les lumières s’éteignent, le rideau se lève et nous entendons en provenance des coulisses les premières notes de St. Thomas avant de voir apparaître le colosse de New York sous un tonnerre d’applaudissements. Grand, très grand moment de bonheur (*).

Par François Vézina

Remontons le fils du temps, quatre décennies plus tôt. Jusqu’au 22 juin 1956 pour être précis. Quand Rollins entre en studio, cette journée-là, il apporte avec lui des compositions, dont la fabuleuse St. Thomas, inspirée d’une comptine que lui chantait sa maman, qui contribueront à le soulever vers de nouveaux sommets.

Mine de rien, Saxophone Colossus est un album hors du temps même s’il est bien ancré à de profondes racines. Les attaches familiales y côtoient les influences musicales.

Son patron d’alors, le grand Max Roach l’accompagne en compagnie de Doug Watkins et Tommy Flanagan. Ces formidables musiciens sauront donner de l’élan au saxophoniste de 26 ans.

D’entrée de jeu, St. Thomas, un calypso entraînant au thème accrocheur, emporte l’adhésion dès les premières mesures. Propulsé par un Roach euphorique, Rollins est impérial, faisant preuve d’une redoutable efficacité mélodique et rythmique.

Serein, il demeure attentif aux voies qui s’ouvrent devant lui. Il les contemple brièvement de quelques notes répétées avant d’en choisir une sans esprit de recul.

Hard bop et blues

Rollins ne relâche pas la pédale pour la suite de l’aventure car le reste de l’album est à l’avenant.

Ses deux autres compositions lui permettent de démontrer sa grande polyvalence.

Strode Rode est un hard bop, une pièce dure au tempo rapide marquée par les éclatantes interventions de Roach, encore une fois grandiose, et un bon solo de Flanagan. Le rythme effréné n’empêche pas la fluidité du discours. Rollins se laisse même emporter par la seule contrebasse pendant un bloc de 35 secondes d’anthologie.

L’autre composition, Blue 7, est comme son titre l’indique, un blues. Maîtrise du son, sobriété du discours, Rollins s’illustre aussi par des solos qui semblent liés par une même logique.

Les deux reprises sont également dignes de tous les éloges.

You Don’t Know What Love Is est une fort jolie ballade. L’interprétation chaleureuse de Rollins est digne d’un Coleman Hawkins, sa première idole, qui l’a grandement influencé.

Rollins rend aussi hommage à Kurt Weill en reprenant un extrait de son Opéra de quat’sous, Moritat, mieux connu sous le nom de Mack the Knife. Son interprétation sobre, en osmose avec la mélodie, ne souffre pas du tout de la comparaison avec les versions plus légères de Louis Armstrong ou d’Ella Fitzgerald.

Le premier semestre de 1956 est vraiment à marquer d’une pierre bleue dans la carrière de Rollins. Sa collaboration avec un quintette de rêve – le Clifford Brown-Max Roach Quintet – a été fort fructueuse comme en témoignent deux remarquables disques (dont At Basin Street, voir no 12) enregistrés cette année-là. Sans oublier un duel au sommet avec un certain John Coltrane (Tenor Madness).

(*) Ce n’est pas mon pote Phil qui me contredira là-dessus…

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Le top-50 de Frank (10): Sonny Rollins, Saxophone Colossus

Étiquette: Prestige

Enregistrement: 22 juin 1956

Durée: 39:45 (5 plages)

Musiciens: Sonny Rollins (saxophone ténor), Tommy Flanagan (piano), Doug Watkins (contrebasse), Max Roach (batterie)