Led Zeppelin: célébration jubilatoire

La renaissance pour un soir de Led Zeppelin en décembre 2007, près de 30 ans après sa dissolution, fut l’événement le plus couru de la planète rock depuis des décennies. Le concert livré le 10 décembre à l’aréna O2, de Londres, fut mémorable et historique. Juré. Le film Celebration Day vient nous rappeler que nous n’avons pas rêvé ce soir-là et que le superlatif « légendaire », pour une fois, est de mise.

Par Philippe Rezzonico

Ça n’a pas pris cinq minutes… Dès que les images du reportage de 1973 de NBC sont apparues sur l’écran surdimensionné du cinéma AMC Forum, mercredi, j’ai été immédiatement téléporté en 2007 à l’aréna de Londres, où je me trouvais avec 18 000 personnes qui s’estimaient bénies des dieux. Et c’est voulu.

Celebration Day n’est pas un film portant sur le spectacle de Led Zeppelin offert par Robert Plant, Jimmy Page, John Paul Jones et Jason Bonham – le fils du regretté John Bonham – dans le cadre de la soirée hommage à Ahmet Ertegun, fondateur de l’étiquette Atlantic qui a mis Led Zeppelin sous contrat à la fin des années 1960. Celebration Day est une intrusion sur scène avec Led Zeppelin comme on ne pensait jamais la vivre.

Led Zep vu de près

Durant les deux heures de ce spectacle, la caméra du réalisateur Dick Carruthers ne montrera la foule en liesse – qualificatif modéré – qu’une dizaine de fois (en Super 8, pas en vidéo comme le reste). Encore bien moins pour montrer des gros plans des spectateurs. En tout, ça ne fait pas cinq minutes en temps réel. N’empêche, c’est touchant de voir une jeune femme pratiquement au bord des larmes qui n’était pas née quand John Bonham est décédé.

Tout le temps, les – très – nombreuses caméras ne seront pointées que sur les membres de Led Zeppelin sous une multitude d’angles. Pour être aussi près que ça, il fallait voir sur spectacle posté sur scène. Rien de moins.

Un peu comme si on voulait montrer à quel point personne n’a eu la berlue. Oui, Led Zeppelin donne un spectacle en 2007… Non, ce n’est pas un rêve… Oui, ils sont tous là : les trois pères et le fils du Saint-Esprit. Je n’ai jamais vu un concert filmé où la caméra arrive à montrer tous les membres d’un groupe dans le même plan aussi souvent.

Sur place, même à distance de la scène, le plaisir des retrouvailles du trio d’origine était patent. Sur grand écran, c’est encore plus évident. Même Plant qui s’est fait tirer l’oreille pour ce spectacle exulte de bonheur. Des sourires gros comme ça, un peu comme si tout le groupe se disait : « Yeah ! On y arrive encore! Comme dans le bon vieux temps ! » Derrière eux, Jason Bonham délire comme un gamin de cinq ans à qui on vient d’offrir le plus beau jouet pour Noël.

Dans la salle de cinéma, bien des gens se sont faits prendre au jeu. Un anglophone a hurlé « Turn on the volume » avant même que ça commence. En effet, le volume n’était pas très élevé au début, mais ça rentrait sérieusement au poste une heure plus tard. Au terme de chaque chanson, des gens applaudissaient comme s’ils étaient dans l’aréna anglais. Immersion totale.

J’ai beau avoir vu ce spectacle à Londres et l’avoir revu sur un enregistrement pirate d’excellente qualité, cette fois, j’ai pu en apprécier toutes les nuances. Dans une salle, vous n’avez forcément qu’un point de vue : celui de votre siège et, un peu, celui des images que l’on projette sur les écrans. Cette fois, on voit tout : l’effort, les sourires, l’intensité, le plaisir, la concentration, la dextérité et la puissance.

Ah! La puissance de feu de Led Zeppelin… Comme en 2007, c’est Black Dog, la troisième chanson interprétée, qui nous fait réaliser que cette prestation n’en sera pas une de papys nostalgiques. C’est à ce moment que toutes les craintes tombent.

John Paul Jones a maintenant une coupe de cheveux de comptable, Page, une crinière blanche, et Plant affiche visuellement le poids des ans, mais avec Jason qui mime avec la même pulsation et la même folie les gestes de son père John, le dirigeable reprend son envol.

Comme tout le monde, j’espérais en ce soir de 2007 entendre des tas d’immortelles qui avaient bercé mon adolescence et ma vie d’adulte, mais un tas de titres moins légendaires que Stairway To Heaven ou Dazed and Confused, disons, s’avèrent tout autant jubilatoires.

Performances homériques

Le jeu à la slide de Page durant In My Time of Dying, la fusion entre la guitare de Page et les claviers de Jones lors de Trampled Under Foot, et l’harmonica de Plant sur Nobody’s Fault But Mine, tout ça est exceptionnel.

Les grands titres ne sont pas en reste : Dazed and Confused est redoutable, Stairway To Heaven est à la hauteur de sa légende («Ahmet, we did it! » lance Plant après coup) et The Song Remains the Same est le char d’assaut espéré.

Page s’avère dans une forme resplendissante et atteint le nirvana quelques fois en chemin, Bonham est déjanté presque tout le temps et Jones est d’une efficacité sans faille, tant à la basse qu’aux claviers.

Forcément, c’est toujours le chanteur qui a le plus à perdre dans ce genre d’exercice. Plant n’a certes plus la puissance vocale de ses 20 ans, mais il n’est pas beaucoup en dessous. De plus, il a le métier qui lui permet d’attaquer certaines amorces de crescendos une octave plus bas. Fougueux, heureux – c’est rare – et inspiré, il arrive à tout livrer quand même, son sommet se trouvant dans la performance dans Kashmir qui est vraiment à hauteur de légende.

Pour la dernière fois de son histoire, le Zeppelin a volé bien haut au-dessus de Londres.

Bref, quand Whole Lotta Love et Rock and Roll concluent ce rendez-vous historique qui n’aura pas de suite, on avait le goût comme bien des cinéphiles présents au AMC Forum de se lever et d’applaudir comme on l’avait fait en 2007.

Cela dit, au-delà des souvenirs vibrants que Celebration Day a ramené dans notre esprit, nous avions une raison supplémentaire de sourire.

John Bonham est décédé en septembre 1980, alors que l’annonce de la nouvelle tournée de Led Zeppelin avait été confirmée. Le groupe devait se produire au Forum de Montréal le 17 octobre 1980, il y a exactement 32 ans, mercredi soir.

De façon détournée, nous avons finalement eu droit à ce « concert » de Led Zeppelin au « Forum », 32 ans plus tard. Et les quatre gars sur scène se nommaient bien Plant, Page, Jones et Bonham. La boucle est bouclée.

Celebration Day : Au cinéma dans les CinéPlex Odéon, le vendredi 19 octobre à 23h59 ainsi que le 25 octobre à 19h. CD/DVD/Blu-Ray/Téléchargement disponibles le 19 novembre.