Mellencamp et Carter: plongeon au coeur de l’Amérique

John Mellencamp/Photo promotionnelle.

Impasse totale sur le hockey mercredi soir et plongeon dans le cœur du Heartland et de l’Americana, au théâtre St-Denis, avec la présence de John Mellencamp et de Carlene Carter.

Par Philippe Rezzonico

Une trempette salutaire qui nous rappelle, comme si il le fallait, à quel point le terroir américain peut être riche et évocateur, nostalgique et actuel, tant au plan musical que personnel en ces temps difficiles.

On s’attendait forcément à entendre des chansons aux effluves rock, aux racines folks et aux allégeances country. Mais les musiciens du groupe de Mellencamp affichaient des tenues de soirées (tuxedos pour les messieurs, robe du soir pour Miriam Strum) à leur arrivée sur scène pour interpréter Lawless Time, une des nouvelles compositions de Plain Spoken qui montre ses affinités avec d’autres sonorités nord-américaines, celles de La Nouvelle-Orléans, gracieuseté de l’accordéon de Troye Kinnett.

Même enrobage sonore (violon, accordéon) pour une autre petite nouvelle, Troubled Man, où tout le groupe, sauf le batteur Dane Clark, s’est placé aux avant-postes de la scène. Deux chansons baignées dans des sonorités d’antan aux textes sociaux ou individuels qui sont toujours d’actualité aujourd’hui.

John et ses potes ont alors fait un bond de 30 ans en arrière en interprétant une impeccable Minutes to Memories qui a chauffé la foule suffisamment pour qu’elle se lève d’un bloc aux premières mesures, musclées de Small Town. Soudainement, tout le monde se retrouvait en 1985, du temps de l’album Scarecrow.

« On va vous faire des chansons que vous connaissez, d’autres pas. Des chansons pour chanter et d’autres pour danser », a lancé Mellencamp. C’est, en effet, son mode opératoire depuis une quinzaine d’années, contrairement aux années 1980 et 1990, où les spectacles légendaires de Mellencamp se déroulaient tambour battant.

L’évolution

À 63 ans, Mellencamp enjolive, retouche et transforme parfois ses classiques d’antan. Ses spectacles sont bien moins rentre-dedans qu’il y a 30 ans, mais ce qu’ils perdent en puissance brute, ils le regagnent en émotivité, en intensité, voire même, en surprises. Et nous avons eu plusieurs exemples du genre.

Voir Mellencamp y aller de pas de danse pendant que Andy York fait mordre sa guitare dans la bluessée Stones In my Passway (Robert Johnson), c’était inédit, mais c’est vraiment avec The Full Catastrophe qu’il nous a jeté par terre. De la version pop rock de l’album Mr. Happy Go Lucky de 1997, Mellencamp passe à une livraison piano-voix transfigurée. Avec sa voix rauque teintée de whisky, sa clope dans les mains, Mellencamp devient l’espace d’une chanson une émule de Tom Waits. Géant.

Nous étions, à bien des égards, dans le prolongement de la première partie offerte par Carlene Carter, petite-fille de Maybelle Carter, de la légendaire famille Carter; fille de June Carter et Carl Smith, et belle-fille de Johnny Cash. La royauté country, quoi.

Carter Girl

Une Carlene drôle, allumée et enjouée, qui explique que sa mère June (disparue en 2003) lui avait dit de ne pas faire l’amour sans être mariée… ce qui explique ses nombreux mariages (4). « J’ai pratiqué beaucoup ».

Carlene qui chante avec fougue Every Little Thing et Little Black Train, Carlene qui évoque sa rencontre à 12 ans avec Kris Kristofferson (la royauté, on vous dit) avant d’enchaîner Black Jack David et qui interprète en succession Me and the Wilwood Rose (qui fait référence à sa grand-mère Maybelle) et Will the Circle Be Unbroken (que chantait Johnny Cash). Du bonbon.

C’était donc une chouette idée de Mellencamp de l’intégrer à son spectacle pour le doublé Away From this World/Tear This Cabin Down, deux chansons tirées de son spectacle musical  Ghost Brothers of Darkland County, produit par T-Bone Burnett et avec un livret signé par Stephen King. C’était touchant de voir Mellencamp faire une bise sur la tête de Carter, de quelques années sa cadette. Duo très réussi.

Mellencamp, plus volubile que je ne l’ai jamais vu en spectacle d’ailleurs, a expliqué que Stephen King ne fait pas peur en personne et il a longuement parlé de sa relation avec sa grande-mère, décédée à l’âge de 100 ans, qui l’a inspiré à écrire la magnifique The Longest Days, qui a enchanté le public suspendu à ses lèvres.

Le public, justement, a pu participer en masse en battant la mesure, lors d’une mouture traditionnelle de Check It Out, et il a hurlé à plein poumons lors de Jack and Diane, livrée seulement à la guitare acoustique.

Les classiques

Si Strum et Kinnett se sont partagé quelques titres de Mellencamp lors d’une poignée d’instrumentales, c’est la violoniste qui a eu la part du lion avec quelques solos bien sentis lors des bombes de fin de spectacle, notamment la récente If I Die Sudden, particulièrement efficace.

Et si l’histoire a élevé, comme il se doit, les albums Scarecrow (1985) et The Lonesome Jubillee (1987) au rang de classiques, c’est toujours le trio de chansons immortelles de Uh-Huh.. (1983) qui fait le travail en fin de soirée. L’explosive Crumblin’ Down, la décapante et rebelle  Autority Song (avec une longue insertion de Land of 1000 Dances, de Wilson Pickett, comme lors des spectacles au Forum, Yes!) et la lucide peinture de l’Amérique rurale qu’est Pink Houses.

« Old Times », comme ajoutait Mellencamp en présentant ses musiciens, dont Mike Wanchic fait partie depuis l’adolescence. Environ 45 ans…. Mais avec l’ami John, un spectacle en 2015 est plus qu’une affaire de nostalgie. C’est un équilibre entre passé, présent et renouveau. Et mercredi soir, l’équilibre était parfait.