Guitariste, arrangeur, mixeur, réalisateur et, bien sûr, ami et confident de longue date, il y a maintenant 35 ans que Mike Wanchic est aux côtés de John Mellencamp, comme s’il était l’ombre de son ami natif de l’Indiana. A l’aube de leur retour à Montréal, jeudi, à la PdA, Wanchic se remémore le chemin parcouru, parle de son vieux pote sans filtre et commente son œuvre en exclusivité pour un média francophone du Québec.
Par Philippe Rezzonico
On joint Michael Wanchic en Indiana. Pas de surprise. Le vétéran guitariste y est né et y réside encore, comme Mellencamp et la plupart de ses musiciens d’aujourd’hui ou d’antan. Esprit de communauté. De «fiers produits» de l’endroit, comme le souligne Wanchic.
On a beau être visiblement aussi tricoté serré en Indiana qu’au Québec, la reconnaissance et le succès ne sont pas des panacées. Il en aura fallu du temps à Mellencamp pour faire une percée musicale hors des frontières de son état. Et peut-être même des limites de son comté…
Mellencamp et Wanchic se sont rencontrés pour une première fois il y a 35 ans, quand ils étaient tous deux animés par une passion commune pour la musique.
«C’était en 1976, se souvient Wanchic. Je travaillais en qualité d’ingénieur du son dans un studio d’enregistrement de Bloomington, où John est passé. Sa guitare n’était vraiment pas très bonne et je lui en avais prêté une.»
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De fil en aiguille, Wanchic est devenu le guitariste de son ami Johnny qui tentait depuis son adolescence de vivre de sa passion. Les années 1970 ont toutefois été rudes. Les premiers albums (Chesnutt Street Incident, The Kid Inside) de celui qui avait été baptisé John Cougar par un gérant pas futé, n’étaient vraiment pas des grands crus.
«De 1976 à 1982, je dirais que nous étions le band le moins cool au monde, rigole Wanchic. Nous donnions le maximum de ce que nous pouvions donner, sur disque ou sur scène, mais de notre propre aveu, ce n’était pas très bon.»
Il y avait quand même de l’espoir. I Need A Lover, tiré du disque A Biography (1978), distribué en Angleterre sur l’étiquette Riva, fut un étonnant # 1 en Australie. Et puis Ain’t Even Done with the Night, de Nothin’ Matters and What If It Did (1980) a percé le Top 20 (no. 17) aux Etats-Unis.
Pas de quoi remplir un compte en banque, mais des signes avant-coureurs que l’écriture de John prenait de l’assurance et que la musique était mieux charpentée. Le band était alors complété par le guitariste Larry Crane, le bassiste Toby Myers et le batteur Kenny Aronoff.
Le moment-clé
Selon Wanchic, c’est durant l’enregistrement de ce qu’allait devenir American Fool que tout s’est joué.
«Ce furent des sessions d’enregistrements difficiles. Nous avons changé de studio et nous étions en Floride pour enregistrer Jack & Diane. Pour être franc, ils (les représentants de la compagnie de disque) nous haissaient. Et il haissaient à s’en confesser les chansons que nous étions en train de produire
«Et il y a eu ce type de PolyGram, qui a alors commis la gaffe de tous les A&R qui n’y connaissent rien. Ils nous a lancé : « Et si vous ajoutiez des cuivres ? » Et là, vrai comme je te parle, John s’est levé, il a été ouvrir la porte du studio, il a empoigné le type, l’a jeté dans la rue et il a refermé la porte derrière lui. C’était sa façon à lui de dire qu’il n’allait pas faire de compromis.»
Si vous vous demandez pourquoi les albums de Mellencamp de cette période sont parus sur Riva Records – et furent uniquement distribués par PolyGram -, avant que Mellencamp ne se retrouve sur le label Mercury – filiale de PolyGram -, cet incident se veut probablement l’explication.
«Sur le coup, on s’est dit qu’on venait de perdre notre contrat de disques, mais la prise de position prise par John ce jour-là a dicté sa façon de faire pour les 30 années à venir. Peu importe ce qui allait suivre, il allait demeurer fidèle à ce qu’il était. A sa vision de la musique et de la culture.»
Le droit d’évoluer
Comme le sait, le reste est passé à l’histoire. American Fool a été certifié multi-platine, s’est hissé au sommet du palmarès Billboard, alors que Jack & Diane (# 1), Hurt So Good (#2) et Hand To Hold On To (#17) ont été des succès radiophoniques.
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La décennie qui a suivie aura celles des chansons à succès, des arénas remplis à craquer et des trophées Grammy. Puis, après l’infarctus de 1994 qui a contrait Mellencamp à une pause, la donne a changé. Ce dernier a commencé à travailler avec d’autres réalisateurs, à explorer de nouvelles avenues musicales. Puis, il y a eu la défection de la radio. Mais Wanchic estime qu’une chose n’a pas changé.
« Peu importe l’orientation musicale, nous avons toujours été honnêtes envers nous-mêmes et nous avons toujours respecté notre public. En dépit des modifications que nous avons apportées à nos arrangements et à notre production, le public nous a permis de grandir. Et je pense que c’était essentiel tant pour nous que pour les fans. Ça fait longtemps que la radio ne joue plus nos nouvelles chansons, mais Bruce Cockburn, et même Neil Young, dans une certaine mesure, ont toujours su conserver cette liberté artistique. Tu ne peux pas survivre durant plus de 30 ans en te pliant aux dictats de l’industrie.
« Dans le spectacle que l’ont va vous présenter, les deux premiers tiers sont offerts dans une instrumentation organique dépouillée : la contrebasse remplace la basse électrique, la batterie est minimaliste. Puis, pour le dernier tiers, on branche tout dans le tapis. Ça nous permet de revisiter certaines chansons qu’on avait nous-mêmes un peu oubliées et de présenter les plus récentes dans la forme qui est optimale.»
La consécration
En 2008, quelques semaines après son plus récent passage au Centre Bell, John Mellencamp a fait son entrée au Panthéon de la renommée du Rock N’ Roll, à New York, en même temps que Madonna, Leonard Cohen, le Dave Clark Five et The Ventures. Mellencamp avait été intronisé par son pote Billy Joel et il avait livré le plus long set de la soirée (sept chansons, avec son groupe et ses fils). Mémorable. L’auteur de ces lignes était sur place. Wanchic se souvient.
«Se retrouver à cette cérémonie d’intronisation du panthéon, c’était comme passer de zéro à aujourd’hui à une vitesse accélérée. C’était comme de revivre tout ce que nous avions vécu depuis nos débuts. Et comme ça arrive souvent, on est toujours en admiration en regard de ceux qui nous ont précédés. Pour moi c’était de voir les membres du Dave Clark Five en personne et de voir The Ventures jouer devant nous.»
Après 35 ans, les routes de Mellencamp et de Wanchic se poursuivent donc en parallèle rapproché. Le guitariste n’aurait jamais cru que le prêt d’une guitare allait le lier à quelqu’un si longtemps.
«Ecoute, j’ai connu John dans la jeune vingtaine. J’ai aujourd’hui 59 ans. Soixante, bientôt. Ce fut tout un bail.»
– John a eu soixante ans il y a quelques jours. Il n’a pas trouvé ça trop dur ?
« Il a l’air de bien prendre ça »
Fallait pas s’attendre à une autre réponse de l’ombre de Mellencamp.
John Mellencamp, à la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA, jeudi, le 27 octobre.