Mon pote Frank

Ceux qui me font l’honneur de lire mes critiques de spectacles depuis le milieu des années 1990 – peu importe le média – ont dû voir un jour ou l’autre un commentaire ou une allusion relative à « mon pote Frank ».

Par Philippe Rezzonico

Frank, c’est lui. François Vézina. Ami de longue date, collègue émérite et, dans le cas qui nous occupe, maître ES arts en jazz.

Nous nous sommes connus dans les années 1980, quand nous occupions respectivement les postes de journalistes affectés à la couverture de la politique municipale à Laval.

Moi, à l’Hebdo de Laval, lui, au Courrier Laval, et ce, alors que le maire de l’Île Jésus se nommait Claude U. Lefebvre. Oui, oui… Avant Gilles Vaillancourt. Très jeunes, nous étions.

Et nous devions être concurrents. Enfin, nous l’étions durant le jour. L’Hebdo et le Courrier, dans ces temps reculés, c’était comme La Presse et Le Journal de Montréal, le Canadien et les Nordiques, Lady Gaga et Madonna… La grosse compétition. Compétition il y avait, mais pas quand on se réunissait le soir pour écouter du jazz. En fait, c’est Frank qui m’a fait écouter du jazz. À l’époque, moi, le jazz, que dalle…

Mais j’aimais vachement ce que j’écoutais quand je me pointais à son appart de la rue Sagard. Au point de lui demander de me prêter ses cinq disques favoris. Petit futé, il m’a surtout refilé cinq albums (Kind of Blue, A Love Supreme, Saxophone Colossus, Getz/Gilberto, Eric Dolphy the Five spot) qu’il était sûr que j’allais aimer. Il s’est un peu gouré pour Eric Dolphy at the Five Spot – je n’étais pas encore prêt pour du Dolphy de ce calibre -, mais à cause de lui, j’ai moins de place que je ne l’aurais cru dans mon propre appartement.

Mais c’est quand même moi, l’élève, qui a passé sa vie professionnelle à écrire sur le sujet. Je me suis toujours dit que c’était une perte que mon maître à penser «jazz» n’ait eu cette chance, surtout quand il me refilait des tranches de «son» dictionnaire du jazz, à savoir, les critiques des albums qu’il possède. Je lui ai souvent fait la remarque en 25 ans.

L’an dernier, vu que j’avais un voyage prévu alors que le Festival de jazz n’était pas terminé, je lui ai proposé d’assurer la couverture de quelques spectacles pour Rue Rezzonico. Sans surprise, les critiques étaient impeccables. À croire qu’il avait fait sa toute sa vie.

Je présume qu’il a repensé à mon commentaire récurrent. En tout cas, ça lui a donné une idée. Comme il aura 50 ans l’an prochain – il est plus jeune que moi, ce gamin -, il m’a proposé son Top 50 de jazz.

Non pas les meilleurs albums de tous les temps – tout le monde fait ça -, mais ses préférés, indépendamment du poids historique. Il y aura évidemment des classiques dans le lot, mais connaissant l’étendue de sa discothèque de jazz et de ses goûts, il y aura probablement des disques que je n’ai jamais entendus et d’autres dont sa notation me fera pester.

Ça fait 20 ans qu’il soutient que le disque Ella and Louis, de 1956, est un trois étoiles et demi, maximum, et moi, un quatre étoiles, sinon plus. Vous voyez le genre…

Donc, d’ici janvier 2014, vous aurez droit au Top 50 jazz  – en ordre décroissant – de mon pote Frank. Pour lui, c’est un défi d’ici qu’il se lance. Pour moi, c’est encore une fois la certitude que j’ai bien fait de ne pas la boucler depuis 25 ans.