Montréal en lumière : Pierre Lapointe en technicolor

Au terme de la troisième écoute de Punkt – album qui paraît aujourd’hui et qui sera l’objet d’un méga spectacle lancement ce soir au théâtre Maisonneuve -, j’étais convaincu : Pierre Lapointe est notre Beck bien à nous. Avec une touche d’Andy Warhol en plus.

Par Philippe Rezzonico

Comme Beck, ce petit génie américain apparu sur le radar au début des années 1990 avec Loser, Lapointe possède cette capacité d’absorber des courants, des influences et des styles musicaux de toutes les époques et de les référencer au sein de sa propre œuvre musicale sans que ça ne soit jamais rien d’autre que du Pierre Lapointe. Cet exercice est un art en soi.

« Je pense que je commence à maîtriser tout ça, dit Lapointe. Tous mes proches le savent, je suis quelqu’un qui vit dans une bulle où je suis constamment en contact avec des œuvres d’artistes stimulants. Je choisis mes vêtements en fonction de ça. Je vais vers les créateurs que j’admire.

« Ma mère était bien démoralisée quand j’avais 12 ou 13 ans. Je passais toutes mes payes aux abonnements au Centre national des arts. J’allais voir tout ce que je pouvais, en danse, en théâtre. J’allais au Musée des beaux-arts voir des expositions.

« Pour ma fête, en 6e année, mon cadeau d’anniversaire, c’était de venir à Montréal avec ma liste d’expositions à voir. Après 15 ans, j’ai l’impression que je commence à être arrivé à quelque chose de l’fun. Il y a un sentiment de liberté et de nonchalance totale dans ce que je fais. »

Le monde de Lapointe

Outre ses références qui vont de la musique à la peinture tout en passant par la danse, le théâtre et les arts visuels, Lapointe nous offre avec Punkt une vision plus éclatée que naguère de son monde de moins en moins imaginaire et de plus en plus transparent.

Son monde où son écriture est plus directe, moins imaginée, parfois même plus crue. Mais le tout, enrobé souvent comme si Warhol avait rajouté des couches de couleurs aux chansons de Lapointe.

Comme c’est toujours le cas avec Lapointe, mon analyse tient bien la route. Mais celles des collègues Cormier (Le Devoir),  Péloquin (Voir) et Vigneault (La Presse) portant sur le même disque le peuvent tout autant. C’est dans les habitudes de la maison, avec le beau Pierre.

Sa musique, qui tient de plus en plus à une œuvre distincte au sein de la chanson québécoise, repose sur tellement d’influences que toutes les interprétations sont bonnes et valables. Lapointe, c’est bien connu, adore brouiller les pistes.

« Les moments joyeux sont tellement marquants, que je pense qu’ils finissent par teinter toute l’écoute du disque. Nous avons même appuyé le côté le côté éclectique en allant dans la couleur, pour mettre l’emphase sur le fait que c’est un album lumineux, éclaté et surprenant.

« Quand même, si on regarde les chansons, il y a des affaires plus dark et plus dramatiques que tout ce que j’ai écrit.»

On pense d’emblée à l’hommage à Barbara ou à La date, l’heure, le moment, qui parle d’infanticide. Si nous étions à l’époque du vinyle (c’est presque le cas, dans les faits), on dirait que Lapointe nous a concocté une face A légère et une face B sombre.

« Mais encore là, des chansons comme Nu devant moi et Les joies répétitives sont pas des chansons super joyeuses, nuance-t-il. C’est un peu comme La forêt des mal-aimés. Ce que les gens ont retenu, c’est Deux par deux rassemblés parce que ça bougeait beaucoup, parce que le clip était surprenant. Mais bon… On a un peu dirigé l’écoute des gens.»

La chanson réaliste

« Quand on connaît la chanson française, la chanson réaliste d’après-guerre est très, très sombre. La chanson d’Édith Piaf (Les amants d’un jour) où l’aubergiste trouve les amants morts, c’est très, très fort.

« J’ai voulu faire un lien avec ça, avec ce genre de chanson qui n’est plus exploitée aujourd’hui. Et j’ai voulu faire un lien avec la trame de fond de ce disque qui est en fait une réflexion sur la culture pop. Qu’est-ce que qu’est la culture pop? Ce n’est pas juste Madonna. Ce n’est pas juste Bowie. C’est plein de thèmes parfois étranges qui sont difficiles à regarder en face.»

À l’écoute de Punkt (mot allemand), on se dit que Lapointe, plus que jamais, va dans toutes les directions. Cet album est d’ailleurs celui qui a la ligne directrice la moins évidente de tous ses albums.

« Avec ce disque, tout était possible. On a d’ailleurs jamais eu autant de mal à faire le pacing d’un disque. On ne s’est jamais autant cassé la tête. On a failli écrire dans le livret : «Faites le pacing que vous voulez. Nous, on ne sait plus où aller (rires). » De nos jours, le pacing n’a plus l’importance. Ce qu’il y a d’intéressant de ce disque, c’est que chacune des pièces peut vivre individuellement.»

L’explosion scénique

Du studio à la scène, il y a un – grand – pas que Lapointe s’apprête à franchir avec faste, ce soir, au théâtre Maisonneuve. Il va reproduire avec ses fidèles complices Philippe Brault et Guido Del Fabbro l’album Punkt dans son intégralité.

Le détail, qui n’en est pas un, c’est qu’il y a plus de musiciens invités sur Punkt que pour un spectacle de Bran van 3000. Pierre va faire honte à James Di Salvio quand plus de 40 collaborateurs vont défiler sur les planches dans ce qui pourrait être l’événement le plus spectaculaire de Montréal en lumière.

Bref, après le Lapointe Pépiphonique et le mutant (Mutantès), le Pierre Lapointe en technicolor, c’est pour ce soir.

Punkt, de Pierre Lapointe, disponible en format physique et numérique.

Pierre Lapointe au théâtre Maisonneuve à Montréal en lumière. Complet.