Morrissey en voix et en mode plaisir

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Morrissey n’aime pas la chasse au phoque. C’est d’ailleurs la raison de son boycott du Canada où il n’avait pas donné un seul concert depuis 15 ans. Il n’aime pas la fourrure non plus. Il est contre la consommation de viande et pour la défense des animaux. Il chante d’ailleurs depuis 35 ans une chanson (Meat Is Murder) sur le sujet qui a fait époque.

Par Philippe Rezzonico

Ces jours-ci, Morrissey menace de poursuites le magazine Spin qui a écrit que ses positions politiques sont proches du fascisme et il pourfend la première ministre britannique Teresa May… Bref, il est égal à lui-même : il ne semble aimer personne, ce qui est assez courant chez lui. Il faut croire qu’il n’aime pas les groupes invités à faire des premières parties non plus…

Durant une quarantaine de minutes lundi soir, les 2300 amateurs présents au MTelus qui n’avaient pu assister à un concert de Morrissey à Montréal depuis 1997, n’avaient qu’une enfilade de vieux vidéos à se mettre sous la dent : Patti Smith, Bowie, les Ramones, Lenny Bruce… C’est comme si on regardait « YouTube tous ensemble » a noté sur Facebook le collègue Marc-André Mongrain, de Sors-tu.ca.

Moments surréalistes

Il y a du vrai là-dedans, mais c’était quand même touchant de voir et d’entendre Édith Piaf et les Compagnons de la chanson interpréter Les 3 cloches dans une salle de spectacle par opposition à notre salon, notre bagnole ou notre iPod. Qui, de ma génération et des suivantes, a entendu chanter Édith Piaf dans une salle de spectacle? Cela dit, pour ce qui est de la trouvaille la plus surréaliste, je donne mon vote à la vidéo kitsch à outrance de Wild About That Girl de James Darren – Monsieur Au cœur du temps (Time Tunnel) – tirée du film Gidget Goes Hawaiian.

Était-ce pertinent? Personne ne se posait plus la question dès que le rideau est tombé pour l’arrivée sur les planches de Morrissey et de ses cinq musiciens.

« Mesdames et messieurs! S’il-vous-plaît! S’il-vous-plaît! » a lancé Morrissey à la foule avant de donner le coup d’envoi avec Suedehead, le premier extrait à succès du chanteur après sa rupture avec The Smiths, accueilli par des cris approbateurs.

Tout en voix

L’excellente forme vocale affichée par Morrissey dès le départ ne s’est jamais démentie de tout le concert, pas plus que la qualité d’ensemble de ses musiciens et la sono, impeccable. En revanche, le chanteur était presque statique comparé à la dernière fois que je l’avais vu sur scène, en 2015, à l’Olympia de Paris. À cette époque pas si lointaine, il se déplaçait de droite à gauche sans arrêt avec une aisance étonnante.

Est-ce dire que la raison du report des premiers concerts prévus en Amérique du Nord au début du mois était liée à une blessure physique? Ou est-ce que Morrissey affiche tout simplement le poids de ses 60 ans à venir le 22 mai? Je l’ignore, mais ce n’est sûrement pas en raison d’embonpoint. Lorsque le Britannique a déchiré son t-shirt au rappel avant de le lancer dans la foule, il a dévoilé des abdominaux qu’auraient envié des types 30 ans plus jeunes.

Attitude rock and roll

Cela dit, si le mouvement était minime, l’attitude, elle, était souveraine. Le coup de rein bien senti sur les premières mesures de Is it Really So Strange? qui a fait comprendre à la foule qu’elle n’allait pas attendre la fin du spectacle avant d’entendre des chansons des Smiths.

Morrissey qui s’empare d’un vinyle tendu par un spectateur collé sur la scène et qui danse avec l’objet sous son bras durant la moitié de l’interprétation de Alma Matters, Morrissey qui interprète I Wish You Lonely pendant que l’on voit l’ex-première ministre Margaret Thatcher sur l’écran et Morrissey qui prend la pose lors de Hairdresser on Fire. Tout était bien dosé et bien senti.

Disons que lorsque les premières notes de How Soon is Now? se sont fait entendre, le MTelus a lévité durant plusieurs minutes, avant que la chanson la plus populaire des Smiths se termine sur un tonitruant solo de tambour.

Nous n’étions pas au bout de nos surprises, car deux chansons plus tard, Morrissey a surpris tout le monde avec Girl Afraid, elle aussi de son ancien groupe. Pourquoi, surprise? Il semble que le Britannique n’avait encore jamais interprété cette chanson sur scène depuis la dissolution du band il y a plus de 30 ans. Disons que le cri…. Euh, que le hurlement du gars derrière moi m’a mis la puce à l’oreille en même temps qu’il m’a défoncé le tympan.

Cela dit, il fallait admettre que les 35 premières minutes du concert étaient insensées : trois tubes des Smiths et trois des plus gros succès individuels de Morrissey lors des huit premières chansons. Je n’en espérais pas tant. Visiblement, ce dernier était conscient qu’il n’était pas venu depuis plus longtemps à Montréal qu’à Toronto. Allez voir les sélections de chansons lors des deux concerts en Ontario et vous allez constater que nous avons été gâtés.

Changement de ton

Cela dit, l’Anglais ne regarde pas trop dans le rétroviseur. Il ne fait pas comme Sting qui offre la demi-douzaine de titres incontournables de The Police lors de ses concerts. Bref, le ton a changé par la suite.

Des chansons politisées (World Peace is None of Your Business), déchirantes (Life is a Pigsty), bouleversantes (Munich Air Disaster 1958) et controversées (The Bullfighter Dies, où Morrissey se réjouit de la mort du toréador) ont côtoyé des reprises de Jobriath (Morning Starship) – que l’on voit dans les vidéos au début – et The Pretenders (Back in the Chain Gang) sous un jeu de lumières fort efficace. Moins rassembleuses pour un certain public – hormis le succès des Pretenders -, ces chansons ont été offertes avec conviction. À ce moment, le Morrissey éclectique a eu nettement le dessus sur le Morrissey populaire.

Mais l’artiste était visiblement plus en mode plaisir que confrontation. Pas de discours enflammés ou potentiellement controversés – comme il y en a eu à Toronto -, mais des chansons qui touchaient le plus souvent la fibre intérieure des spectateurs.

C’était aussi évident que prévisible avec l’irrésistible Everyday Is Like Sunday qui a emporté l’assistance, mais la décapante Something Is Squeezing My Skull et What She Said – une autre des Smiths – ont amené tout le monde au rappel avec un sourire dans le visage.

En définitive, First of the Gang To Die était surtout l’occasion de voir à quel point le chanteur était – vraiment – heureux de sa soirée et en répétant à quel point il nous aimait. Certes, une heure et demie de prestation après cette particulière « première partie », c’était limite, rayon minimum syndical.

Mais parfois, c’est mieux d’en avoir moins que trop, et surtout, de moindre qualité. Rien de tout ça hier soir. Et en prime, on avait droit à un Morrissey qui, visiblement, aimait tout le monde. Je suis même prêt à parier qu’il aimerait ce texte, tiens… Mais il ne faut pas qu’il sache que j’ai mangé à La Belle province avant d’entrer au MTelus.