Vous connaissez sûrement ce slogan publicitaire d’un câblodistributeur bien connu : le pouvoir infini du câble. Cette semaine, l’univers de la musique pourrait pratiquement se résumer ainsi : le pouvoir infini de la télévision. Et rien ne l’illustre mieux que les événements liés au retour de Johnny Hallyday au Québec.
Par Philippe Rezzonico
Johnny Hallyday. « Djeunnnyyyyy !! », comme hurlent ses fans français. Dieu incontesté de l’Hexagone depuis cinq décennies, Johnny a longtemps fait figure de ringard ou de has been auprès de la population du Québec. Pourtant, cette semaine, Hallyday est également l’idole des jeunes et des moins jeunes face au public québécois. Tout ça à la suite d’une présence à la populaire émission Star Académie.
Dans la foulée du passage d’Hallyday à la télé québécoise, le promoteur evenko a annoncé en début de semaine un spectacle de Johnny au Centre Bell, le 4 octobre. Jeudi, evenko annonçait la tenue d’une supplémentaire. Entre vous et moi, je suis prêt à parier que l’entente initiale était de deux spectacles dès le départ, mais un fait demeure : Johnny va peut-être remplir deux Centre Bell. C’est phénoménal quand on se souvient ce qui s’est passé il y a 12 ans. Retour en arrière.
Le retour de l’idole
En 2000, Hallyday vient jouer au Québec pour la première fois depuis un quart de siècle. A l’époque, on se disait tous qu’il devait vendre ses deux théâtre St-Denis en claquant des doigts, n’est-ce pas ? Du tout. Il a fallu ramer.
Heureusement, les billets ont été mis en vente bien à l’avance et des tas de facteurs ont soulevé un intérêt qui n’y était pas au départ : l’ajout aux deux spectacles de Sylvain Cossette, qui avait popularisé Que je t’aime auprès d’un jeune public québécois ; celui d’Eric Lapointe qui cartonnait avec Ma gueule ; la diffusion de Johnny au Stade de France un dimanche soir à la télévision généraliste ; et la conférence de presse de Musique Plus mise sur place par Pierre Marchand, fan d’Hallyday, qui allait attirer plus de 100 représentants des médias.
Le vent a tourné, on a ajouté un troisième spectacle et environ 6600 billets ont été écoulés pour ces trois shows exceptionnels. Tous les journalistes et chroniqueurs qui avaient traité Hallyday de ringard ont fait des mea culpa après avoir vu ça. Succès bœuf.
N’empêche, 6600 billets pour un type qui bourre le Stade de France (80, 000 places) en dix minutes, ce n’est rien du tout. D’autant plus que plusieurs fans français avaient assisté aux trois spectacles, notamment ceux venus directement de France suite à l’initiative du producteur local québécois, Didier Morissonneau. Rien de moins que deux charters avaient été réquisitionnés.
Et là, en dépit de l’annonce d’un spectacle gratuit au Festival d’été de Québec il y a quelques semaines, il n’a suffit que d’une présence de Hallyday à SA pour mettre en vente deux Centre Bell. Le pouvoir infini de la télé de masse, disais-je.
Grégoire numéro 1
L’exemple n’est pas unique à Hallyday. Qui est en tête des ventes de disques au Québec cette semaine ? Le Français Grégoire, dont la chanson Toi + moi est le thème de Star Académie. Soyons francs… Il y a un mois, Grégoire était connu de 237 fans français expatriés, de 158 amateurs québécois de souche, de trois relationnistes, des gens de sa compagnie de disque, ainsi que de quatre journalistes spécialisés. J’exagère à peine.
Cet effet ne se mesure qu’avec des émissions ayant des cotes d’écoutes monstres, supérieures au million de téléspectateurs. A Star Académie ou à Tout le monde en parle, lorsque l’émission accueille des vedettes de la musique et fait jouer leurs chansons durant les entrevues. On ne ressent pas le même effet à la caisse avec la formidable émission de Belle et Bum ou la bientôt défunte Studio 12. Ça prend du volume.
Idem aux Grammy
Et les Américains le savent, eux aussi. Avez-vous jeté un coup d’œil au nombre de vedettes qui seront en performance au gala de remise des Grammy, dimanche soir ? Par moments, ça frise le ridicule. Il est normal que des artistes qui lancent un nouvel album ou extrait (Bruce Springsteen, Paul McCartney) y performent. C’est logique qu’un groupe mythique (Beach Boys) qui se reforme profite de cette tribune et que tous ceux qui ont marqué l’année musicale (Adele, Rihanna, Coldplay) y chantent.
Mais depuis quelques années, on tente de faire des duos, des trios et des collectifs pas toujours convaincants. Cette année, on va regrouper Chris Brown, Deadmau5, les Foo Fighters, David Guetta et Lil Wayne dans un même segment musical. Chris Brown avec les Foo ? Lil Wayne avec Deadmau5 ? Pardon ? Et aussi les Beach Boys avec Foster the People et Maroon 5. Ça pourrait tourner à la catastrophe, ça, au plan musical.
Mais les gens de l’Académie américaine n’en ont cure. Le but, c’est de montrer le maximum d’artistes et de groupes à l’écran, parce qu’une messe comme celle des Grammy a encore un réel impact sur les ventes dans les semaines à venir. En 2008, quand elle a remporté cinq statuettes, Amy Winehouse a vu les ventes de Back To Black – déjà multimillionnaire – grimper de plus d’un million d’unités en une semaine.
Le fan de musique en moi se réjouit de voir que la télévision généraliste peut encore servir à mousser la carrière et la musique d’artistes vieillissants ou de jeunes loups. Mais de constater qu’une partie de la viabilité commerciale d’un art (la musique) est devenue tributaire d’un autre support médiatique (télévision) me mène à une conclusion et une interrogation.
L’évidence : la survie des artisans de la musique est plus précaire que jamais.
La crainte : jusqu’où la télévision va influencer nos achats culturels (disques, billets) en musique et dicter ses propres choix?
On reste à l’écoute.