Osheaga, jour 2 : Jack, Nick… et Elvis

Nick Cave: l'intensité à son meilleur. Photo courtoisie evenko/Pat Beaudry

Après une première journée qui faisait la part belle au hip-hop et aux DJ, les guitares revenaient à l’avant-scène en soirée dans les cases horaires des scènes de la Rivière et de la Montagne au Festival Osheaga, samedi.

Par Philippe Rezzonico

Le ciel lourd et couvert ne nous est pas tombé sur la tête, mais il faut admettre de certains artistes ont travaillé fort afin de crever les nuages. Pour le chroniqueur, cette – plus courte – journée de couverture a été l’occasion de constater que l’on n’a pas besoin d’un « vaisseau spatial » pour satisfaire musicalement le festivalier…

Deux ou trois choses ou fait leurs preuves depuis longtemps : de bonnes chansons, des artistes investis et une instrumentation organique. On a eu droit à tout ça

Modest Mouse, 18h05: Ça faisait bien une demi-heure que je regardais la bande à Isaac Brock se démener sur la scène de la montagne quand je me suis dit que ce groupe est exactement la raison pour laquelle nous allons tous, très souvent, assister à des festivals.

Groupe américain qui a trimé dur pour son succès, Modest Mouse roule sa bosse depuis plus de deux décennies. Et les fans de longue date chantaient des tas de refrains par cœur propulsés par les guitares, banjo, violon, batterie et contrebasse, lors de ce spectacle rassembleur au possible  : Dashboard, 3rd Planet, Float On et The Good Times Are Killing Me ont fait leur effet au point que même ceux qui n’étaient pas familiers avec le répertoire du groupe entraient dans la danse.

J. Cole, 19h05 : Arrivé sur le tard sur le site, j’ai dû voir la prestation du rappeur J. Cole devant et derrière la scène de la rivière (bouffe oblige), ce qui ne sont pas des conditions idéales. N’empêche, l’attirail avec lequel le jeune homme se pointe sur les planches n’est pas la norme dans son créneau : guitaristes, choristes, DJ, batteur, etc. Nous sommes loin du rap primaire.

Au plan musical, les chansons de Cole accrochent l’oreille et l’enveloppe sonore est parfois aussi proche de la soul que du hip-hop. L’écoute fut par trop distraite pour porter un jugement valable et éclairé, mais le monsieur aura droit à une écoute plus attentive de ma part la prochaine fois. Il le mérite.

Nick Cave & the Bad Seeds, 20h15: Intense, dense, sombre, dramatique… Un spectacle de Nick Cave et de ses vieux potes n’est pas un spectacle rock comme les autres. L’Australien longiligne qui a des airs d’oiseau de proie sur les planches possède un magnétisme hors du commun.

Qu’il livre des vieux tubes comme From Her To Eternity, des nouvelles compositions de son album Push the Sky Away comme Jubilee Street  et Mermaids, ou qu’il interprète Tupelo (la ville de naissance d’Elvis) n’y change rien. Du placide à l’explosif, guitares, basses, violon et batterie sont capables de toutes les ruptures, de toutes les douceurs, de tous les crescendos. Cave narre, chante ou hurle ses compositions comme si c’était la dernière fois, comme s’il voulait que chaque spectateur ne l’oublie jamais.

C’est particulièrement vrai pour ceux massés à l’avant-scène qui l’on vu de très près. Cave a passé de longs moments debout sur la grille de sécurité, maintenu en équilibre par les festivaliers des premières rangées.

En finale de Stagger Lee, le grand Nick, bras tendu devant lui,  interpellait une asiatique juchée sur les épaules d’un ami. Trop loin. Cave se penche un peu plus en avant, la fille fait de même. Les bras…  Les doigts se tendent à l’infini. Les caméras retransmettent le tout sur les écrans. On pense à la fresque de Michel-Ange. Les index se rapprochent.

Ça y est! Ils se touchent. Cave, la spectatrice et tous ceux qui étaient présents sont unis à jamais. Un « show-stopper », comme on dit en anglais. LE moment que tout le monde va ramener chez soi. Géant.

Jack White, 21h15: Depuis It Might Get Loud (avec Jimmy Page et The Edge), Jack White ne se prend pas pour n’importe qui. Son équipe de tournée est habillée à son image (fringues chic et chapeaux) : ça nous change des roadies crasseux, mais cela fait mégalo.

Et il interdit aux photographes de prendre des photos de lui dans la fosse (ce fut le cas samedi). Les photographes lui ont dit d’aller se faire voir en prenant des photos à distance malgré tout. Il est loin le jeune loup du temps des White Stripes qui accordait des entrevues à chaque de ses parutions sur disque…

En dépit de ces reproches, White n’oublie jamais ce qui a fait son succès : les bombes des White Stripes. Dans un généreux spectacle de 105 minutes (le maximum qu’il pouvait offrir), White a rué dans les brancards avec des versions abrasives d’IckyThump, Ball and Biscuit, The Hardest Button to Button et autres Fell in Love With A Girl.

L’ami Jack a amorcé la prestation tel un possédé et il a fait souffrir ses guitares. S’il a offert le genre de spectacle qu’il avait livré à L’Olympia en 2012 (survol de carrière avec les tubes des WS, des Raconteurs et de ses disques individuels), on mesure mieux l’avantage qu’il a d’avoir un groupe complet (guitare, basse ou contrebasse, batterie, violon) pour interpréter ses vieux hits.

Hotel Yorba est devenue plus organique en regard de sa version guitare-batterie du temps de Jack et Meg. Et Seven Nation Army, désormais un hymne international, était corrosive et dissonante à souhait.

De plus, White sait être imprévisible. Il est un des rares artistes à offrir des spectacles différents. Vraiment différents : tant au plan de la sélection des chansons que de la séquence. On le voit crier des ordres à ses solides musiciens, parfois même au beau milieu d’un jam ou entre deux solos de guitares démentiels.

C’est comme ça que j’ai perçu le riff de Power of My Love, lors d’une défonce collective. Hein? Je rêve? Non. White a bel et bien interprété la chanson d’Elvis parue sur le légendaire From Elvis In Memphis, de 1969. Chanson qu’il a gravée lors du Record Store Day, il y a quelques mois. Une version à la Jack White, s’entend. Complètement déjantée. Mais la double reprise du refrain ne laissait place à aucune équivoque.

Jack qui fait du Elvis à Montréal? O.K. mon vieux, on te pardonne tout.