Après 21 groupes ou artistes vus en deux jours au festival Osheaga, il était de mise que le jour du Seigneur soit, ma foi, plus calme. Dans le sens de moins de frénétique. Surtout que le dos donne quelques signes de fatigue – à n’importe quel âge – après 19 des 20 heures passées sur le site en position debout.
Par Philippe Rezzonico
Donc, acte. Arrivée plus tardive – quoique pas tellement à 14h45 – pour voir The Struts sur la scène de la Vallée. Synchronisme impeccable, quand tu descends la petite butte exactement au moment où tu entends la première note. The Struts, c’est probablement le groupe contemporain du moment qui résume le mieux le glam: l’allure, les fringues, l’attitude, la musique… Tout y est.
Dès que Luke Spiller, fils spirituel de Freddie Mercury – tant au plan physique que vocal –, s’est pointé sur scène, le doublé I Just Know/Roll Up a donné le ton. Et ça n’a pas dérougi durant 40 minutes. Spiller, une vraie de vraie bête de scène, ne tient rien pour acquis : il harangue la foule, il propose aux filles de se jucher sur les épaules des gars, il demande aux spectateurs de crier et qu’ils battent la mesure, ce qu’ils font à profusion sur les chansons… Non, sur les chants fédérateurs que sont Could Have Been Me, Kiss This, Let’s Make This Happen Tonight, Put Your Money On Me et Where Did She Go.
À 15 heures, il faisait un soleil éclatant sur le site d’Osheaga, mais une tornade de rock et de plaisir a déferlé devant la scène de la Vallée. Entendre du rock n’ roll de ce calibre avec une telle attitude en 2016… Yep. Rock n’ roll will never die, comme le chante Neil.
Le nouveau « Mr. Soul »
Sam Cooke était surnommée Mr. Soul. Celui qui est disparu tragiquement en 1964 a eu droit à sa succession d’héritiers depuis quelque cinq décennies, mais personne n’a de lien plus évident avec lui que Leon Bridges. Bridges, c’est le phrasé si proche de celui de Cooke, son look irréprochable (même en t-shirt, il a l’air d’être une gravure de mode), mais c’est aussi son énergie de scène. Quoique sur cet aspect, Bridges est peut-être encore plus proche d’un autre géant de la soul, Otis Redding.
Voir Bridges sur scène durant 55 minutes, c’est être soufflé par les références aux deux légendes sans pour autant que ça porte ombrage à ses chansons. Parce qu’il n’a même pas besoin de faire des reprises de Cooke ou de Redding tellement ses compostions tiennent la route.
Smooth Sailin’ mérite son nom, même dans une version un peu plus rythmée que l’originale studio. Outta Line est dynamique au possible, tandis que Brown Skin Girl et son saxophone pimpant touchent notre âme. Coming Home, qui fait connaître Bridges, est magnifique, tandis que Twistin’ and Groovin’, sans surprise, incite à twister, ce qui n’est pas évident sur le gravier du parterre de la scène de la Rivière…
C’est toutefois durant Mississipi Kisses que Bridges démontre l’étendue de son talent : il chante, il danse, il virevolte, il glisse sur scène et il fait faire ce qu’il veut à la foule.
J’ai fermé les yeux durant quelques instants et j’étais tout à coup dans le Harlem Square de Miami, en 1963, quand Sam Cooke a mis le club à l’envers. Chansons et époques différentes, mais une même rage de scène pratiquement sans égal. Plus de doute : on a enfin un vrai Mr. Soul pour le 21e siècle.
Une élongation musculaire à la cuisse a quelque peu limité mes mouvements durant la journée. Bref, j’ai regardé la prestation incendiaire de Grimes de la salle de presse. Je m’abstiens de faire une critique dans ces cas-là (conditions non valables pour faire une critique valable), mais je note quand même que c’était bien supérieur à son récent passage au Métropolis.
L’androïde Radiohead
Quand nous avons appris que le vol de Disclosure avait été retardé et que Radiohead allait amorcer sa prestation à 20h35 plutôt que 20h50, j’ai dit aux collègues et amis que les chances d’entendre Creep venaient d’augmenter au centuple. On sait que les Britanniques ont fait impasse sur leur succès de la première heure depuis environ deux décennies avant de le ressortir des boules à mites, à l’occasion, notamment durant cette tournée de l’album A Moon Shaped Pool.
C’est bien évidemment un trio de nouveautés (Burn the Witch, Daydreaming, Ful Stop) qui a lancé le concert. La première chanson, baignée dans la lumière rouge, était aussi intense que la troisième était explosive, mettant à profit toutes les qualités d’instrumentistes de ce grand groupe. Daydreaming? Si on juge la qualité de la chanson en regard du sujet (rêver tout éveillé), c’est un chef-d’œuvre. Mais parce qu’elle est parfaitement collée à son sujet, elle donne envie d’aller ce coucher…
Clameur dès les notes suivantes. Les amateurs de longue date reconnaissent d’emblée 2+ 2 = 5 de Hail to the Theif (2003), une « vieille » chanson, du moins selon les critères de Radiohead. Par la suite, le groupe a survolé presque tous ses disques. Pour une divine Nude (tout le monde planait), on avait droit à une Bodysnatchers pas essentielle à mes yeux. Pour une formidable Pyramid Song, on se tapait Reckoner.
Au fond, le problème des gars d’Oxford est celui de tous les groupes qui ont environ 25 ans de carrière. Leur répertoire est désormais tellement riche et vaste que de grandes chansons sont laissées de côté, particulièrement lors d’une tournée comme celle-ci qui vise à mettre en lumière un nouvel album.
Mais peu importe ce que joue Radiohead, Thom Yorke (voix impeccable), Jonny et Colin Greenwood, Ed O’brien, Phil Selway et le percussionniste invité Clive Deamer (Portishead) l’offrent avec panache. La polyrythmie (batterie-tambour) durant Bloom était aussi exemplaire que l’était la pulsion durant The Gloaming. Les 6 écrans subdivisés en damiers et en formes géométriques (carrés, rectangles) étaient éclairés de couleurs monochromes (rouge, vert, jaune, bleu, turquoise) et le jeu de lumière, notamment durant Feral, était étourdissant.
La séquence qui a mené au rappel (Weird Fisches/Arpeggi, Everything In Its Right Place, Idioteque, There There) était incandescente. Pas sûr que les versions des deux dernières chansons n’ont pas été les meilleures jamais entendues à Montréal.
Nous n’avons pas eu droit à The National Anthem ou à Fake Plastic Trees parmi les sept chansons offertes au rappel, mais à Paranoïd Android (avec des arrangements modifiés) et à Karma Police. Notons aussi la présence de Let Down, une rareté de OK computer.
Après une solide version de Lotus Flower et les salutations d’usage, oui, enfin, pour une toute première fois depuis le siècle dernier à Montréal, on a entendu les premières notes de Creep, cette mélodie accrocheuse et le riff hachoir (Tchak! Tchak!… Tchak! Tchak!) de Jonny Greenwood.
Presque tous ceux qui avaient commencé à se diriger vers le métro se sont immobilisés et nous avons eu une chorale à 35 000 ou à 40 000 personnes. Point d’orgue final et fabuleux d’un Festival Oshega dont on se souviendra.