J’ai eu le privilège de voir plusieurs fois la grande Petula Clark sur scène au cours des deux dernières décennies. Chaque fois, il s’agissait de concerts « grands succès » des années 1960 et 1970, placés forcément sous le signe de la nostalgie. L’histoire fut complètement différente, jeudi soir, au Théâtre Maisonneuve.
Par Philippe Rezzonico
En raison du tout nouveau disque Vu d’ici paru il y a deux semaines, nous étions probablement des centaines de spectateurs à assister à un concert de Petula Clark qui comprenait un tas de nouvelles chansons. Et pourtant, nous avions quand même l’impression d’assister à un tour de chant de « grands succès ». Pourquoi?
Parce que la qualité des nouveaux titres écrits et composés en majorité par des auteurs du Québec est à ce point relevée que ces nouvelles compositions s’intercalent à merveille entre les tubes immortels de la Britannique.
À l’écoute de Ceux qu’on aime (Michel Barbeau), ma préférée du nouveau disque avec sa rythmique très « In Crowd » saveur sixties, pas un instant j’ai eu l’impression que Petula Clark me privait de Colour My World, pas interprétée hier soir. En la voyant Danser avec son ombre (Diane Cadieux/Tino Izzo) avec une intensité belle à voir, je ne me suis pas dit que j’aurais préféré entendre This Is Goodbye.
Sentiment tout aussi vrai avec les interprétations touchantes de Je reviens de loin (Frédérick Baron – Kevin Bazinet/Cyril Taieb) et de Le chemin de la gare (Louis-Jean Cormier). C’était un régal de voir s’exprimer le talent de cette chanteuse qui compte sept décennies de scène (!) – elle chantait pour les troupes britanniques, enfant, lors de la Deuxième Guerre mondiale – à travers de nouveaux morceaux délectables.
Surtout qu’elle nous disait en entrevue il y a deux semaines qu’elle ne maîtrisait pas encore les nouvelles chansons. Rien de ça n’a paru hier.
Elle nous a même gratifié d’une inédite, Pour être aimée de toi, écrite par son ami Charles Aznavour, sur laquelle Petula a composé la musique au piano. C’est d’ailleurs le seul moment où elle a pris place devant les ivoires pour nous rappeler cet aspect méconnu de son art.
Fidèle à ce qu’elle avait dit, le répertoire proposé était majoritairement francophone pour cette tournée québécoise. Les incontournables interprétées au Québec depuis plus de 50 ans étaient au programme (Je me sens bien auprès de toi, Que fais-tu là Petula?) ainsi qu’un bon nombre de succès internationaux qui ont eu du succès tant en anglais qu’en français, mais dont la version française était le plus souvent privilégiée.
Suis tombé en bas de ma chaise en réalisant que My Love – hormis un bout de refrain – était offerte dans sa version francophone (J’ai tant d’amour), popularisée au Québec par Les Milady’s. Bien sûr, nous avons eu droit à C’est ma chanson plutôt que This Is My Song (écrite par Charlie Chaplin) et à la version bilingue de Downtown/Dans le temps, comme elle nous l’avait offerte au théâtre St-Denis en 2000.
Elle a beau chanter certaines de ces chansons depuis plus de 50 ans, jamais elle ne les expédie, même s’il y a obligatoirement quelques pots-pourris durant le concert. Avec le temps, justement, son chef d’orchestre Grant Sturiale a modifié certaines introductions musicales (I Know A Place, notamment), des tempos ont été ralentis, mais l’essence même des monuments demeure intacte.
Elle a beau avoir… un certain âge, cela demeure fascinant à quel point Petula Clark a conservé une vitalité rien de moins que juvénile. Espiègle, telle une petite fille, quand elle salue en saisissant les coins de sa robe telle, elle interprète Sourire (Antoine Gratton) comme si c’était un tube des années 1960 ainsi que La gadoue et Tout le monde veut aller au ciel avec exubérance.
En revanche, elle sait être touchante pour Cœur blessé, bouleversante pour Un Enfant (écrite pour elle par Brel), intense et dramatique pour La nuit d’en finit plus (Needles and Pins, des Searchers) et carrément gigantesque pour La chanson d’Evita (Dont Cry For Me Argentina). Si elle affiche moins de puissance vocale qu’en 2010, elle en a encore largement pour conclure Chariot et I Couldn’t Live Without Your Love dans les cimes. Franchement, n’eut été du fait que le pied de son micro lui a fréquemment servi de repère, on se croyait dans une décennie antérieure tant le timbre de la dame est toujours au poste.
Il était logique qu’au terme de ce spectacle farci de nouveautés, qu’elle boucle la soirée avec l’une d’entre elles, Jamais Adieu (Nelson Minville-Petula Clark), en nous saluant avec un « Au revoir » qui ne laisse planer guère de doutes quant à un retour potentiel chez nous.