Je ne pensais pas y aller. Je ne devais pas y aller. À la limite, je ne voulais pas y aller. Où? Au spectacle de Queen et d’Adam Lambert présenté lundi au Centre Bell. Pourquoi? Parce que je crois au « minimum syndical » sur une scène et que lorsque que tu as vu le groupe original en action, ici, Queen avec Freddie Mercury, tu ne peux qu’être déficitaire.
Par Philippe Rezzonico
C’est la raison pour laquelle je n’ai pas été voir il y a plus de dix ans The Doors of the 21th Century (Ray Manzarek et Robby Krieger sans Jim Morrison), que je ne suis jamais retourné voir INXS sans Michael Hutchence et que j’ai même fait impasse sur Roger Daltrey quand il est venu jouer intégralement Tommy sans Pete Townshend. Le minimum syndical, ce n’est pas toujours uniquement la présence du chanteur…
Je tenais le même discours moins de 24 heures avant le spectacle à mes potes, les deux Stef, Drolet et Gagnon, au Montréal Pool Room, au sortir du show de Soundgarden. Bon exemple, ça, Soundgarden. Vous iriez voir Soundgarden sans Chris Cornell, vous? Moi non plus.
Pourquoi ai-je renoncé à l’une de mes lois non-écrites de couverture? Peut-être parce que Sylvain Cormier m’a fait comprendre que j’aurais pas dû rater Daltrey (qui a été exceptionnel), ou parce que cela fait quelque trois décennies que je n’avais pas entendu des chansons de Queen, « live », jouées par des membres de Queen. Peu importe, j’étais donc au Centre Bell avec 12 499 autres spectateurs qui n’avaient rien à cirer de mes réserves à en juger par leur enthousiasme.
Parlons-en, pour une fois, de ces spectateurs. Il y avait des amateurs de l’âge de Brian May et Roger Talyor qui avaient probablement vu Queen à Montréal au début des années 1980, majoritairement des hommes. Il y avait des fans d’Adam Lambert révélé par American Idol, majoritairement des jeunes filles, et toutes les générations entre les deux qui ont grandi en écoutant des chansons de Queen sans jamais voir le band.
Ce décalage considérable entre les générations, doublé d’un centre d’intérêt distinct (la musique de Queen OU le beau Adam, dans bien des cas), se faisait sentir d’une chanson à l’autre. Adam apparait sur les écrans en ouverture avec Now I’m Here, il prend le plancher pour Stone Cold Crazy, et les jeunes femmes sont debout. Les vieux fans, eux, sont assis.
Queen se lance dans Another One Bite the Dust – que Lambert a fort bien défendu – et là, les plus jeunes restent dans leurs sièges et tout ce qui a plus de 45 ans est debout. Du moins, dans la section où je me trouvais, l’écart des générations se mesurait de cette façon. Cette foule, elle relevait presque de l’étude sociologique. Fascinant.
Bonne voix
Adam Lambert a-t-il été à la hauteur de Freddie? Bien sûr que non. C’était perdu d’avance. Mercury, il est dans la ligue des Dieux des planches, celle des plus grandes bêtes de scène, des pur-sang. Il est parmi les Morrison, Hutchence, Elvis, James Brown, Mick Jagger… Les irremplaçables, quoi.
Oui, Lambert a une sacrée voix et un timbre proche de celui de Mercury dans certains registres. Solide dans Another One Bites de Dust, il a été formidable dans Somebody To Love. Il a fort bien partagé Under Pressure avec Taylor au bout de la passerelle avancée au parterre et il n’y a rien à redire de ses interprétations de Who Wants To Live Forever ou du doublé mythique formé par We Will Rock Rock/We Are the Champions, au rappel, durant lequel il portait une couronne. Vraiment bien.
Le problème est ailleurs. Contrairement à ce que pensent les concepteurs de La Voix et autres dérivés, une voix d’exception, c’est une chose, mais la présence scénique a toute son importance.
Mercury était théâtral dans son temps. Grandiloquent, même. Lambert, en revanche, fait preuve d’un maniérisme exacerbé et il se donne trop souvent l’allure d’un type efféminé. D’autant plus étonnant que dès qu’il se pointe sur scène, on a l’impression d’avoir affaire à un George Michael âgé de 30 ans plutôt qu’à Mercury. Inutile d’en rajouter, non?
Oui, Freddie était gai (Lambert l’est, d’ailleurs), mais sur scène, il était un androgyne, un peu comme Bowie. Lambert, notamment quand il s’est allongé sur le long canapé pour interpréter Killer Queen, n’a pas su doser cet aspect qui a agacé.
Et quand tu as des bombes dans les mains, il faut savoir les livrer pour qu’elles explosent. Oui, je suis injuste de comparer avec Freddie, mais la livraison de Radio Ga Ga et de Crazy Little Thing Called Love étaient molles. Mais molles… C’est comme ça qu’il faut faire.
Il faut y mettre de la hargne. Pas juste faire semblant.
La présence de Freddie
Aux côtés de Lambert, May – encore très solide – et Taylor – un peu plus brouillon -, ont respecté au plus haut point leur ami disparu. On a vu Freddie chanter durant 15 secondes en finale de Love of My life et durant Bohemian Rapshody, dont la moitié de ce que l’on a entendu était préenregistré.
De bon goût. On a juste assez vu et entendu Mercury pour que sa présence se fasse sentir, mais on n’a pas abusé des bandes d’antan qui auraient fait verser le spectacle dans le pastiche. Et May était réellement ému de l’apport de la foule durant Love of My Life. Beau moment.
Cela dit, la sélection était plus que discutable et le segment central – bivouac/acoustique fut longuet. Peut-être que May et Talyor ne voulaient pas donner trop de place à Lambert. Cela dit, dix minutes de solo de guitare… Vraiment?
Bilan? Quiconque n’ayant jamais vu Queen n’a pas dû être déçu et a passé un bon moment : show professionnel, bonne voix, superbe scène qui stylisait le « Q » de Queen – quand le cercle et la passerelle étaient illuminés -, éclatant jeu de lumières et un nombre considérable de succès et d’hymnes qui auront traversé les époques.
Mais pour tous ceux qui ont vu Queen avec Freddie, je pense qu’on va visionner de nouveau dans les prochains jours le spectacle enregistré au Forum de Montréal en 1981 où le Live Aid de 1985. Ne-fut-ce que pour se rappeler que s’il est légitime que les survivants d’un groupe veulent faire vivre leur chansons pour d’autres générations, le modèle original, lui, n’a pas d’égal.