Pour n’importe quel groupe qui a plus de 30 ou 35 ans de carrière, Il vient un moment ou la qualité de sa production actuelle ne pèse plus lourd dans la balance quand vient le temps pour l’amateur de renouer en concert. C’est le cas de Depeche Mode.
Par Philippe Rezzonico
Il y avait 15, 680 spectateurs au Centre Bell, mardi soir, pour le retour des Britanniques. Salle comble absolue en regard de la configuration retenue. Il y avait déjà tellement de gens assis à leurs sièges pour la prestation des filles de Los Angeles de Warpaint en première partie, que je me disais que l’amphithéâtre du Canadien accueillait déjà plus de monde qu’Arcade Fire allait en attirer à l’autre bout de l’autoroute 20 à la même heure….
Soyons francs. Ce n’est pas pour les nouvelles chansons du disque Spirit paru plus tôt cette année que tant de gens se sont déplacés. Il n’est pas vilain ce récent album de Dave Gahan, Martin L. Gore et Andrew Fletcher. Bien meilleur que Delta Machine qui avait justifié la tournée de 2013, en fait.
Mais depuis déjà un bout de temps, on va voir et revoir Depeche Mode comme on revoit un ami d’adolescence ou de grands potes du temps des années universitaires. On va revoir un groupe dont l’œuvre a été importante dans notre vie passée. Et le trio le sait. Depeche Mode ne tente pas de nous rentrer à tout prix ses nouvelles compositions dans la gorge.
Les nouveaux classiques
Comme c’est le cas depuis des années, nous avons eu droit à une poignée de nouveaux titres (5) dans un généreux spectacle de deux heures et 20 minutes. Bref, pas de surenchère. Et les gars espèrent que certaines chansons vont devenir de nouveaux classiques. C’est arrivé il y a 12 ans avec A Pain That I’m Used To, chanson de Playing The Angel, qui était de la partie lors de la tournée de 2005, de celle de 2013 et hier soir. Une chanson qui fait mal pour l’âme, comme bien des chansons de Depeche Mode. Un jeune classique, donc.
La nouvelle Where’s the Revolution mérite le même sort. Un texte fort qui risque d’être pertinent durant un bout de temps et une charpente sonore taillée sur mesure pour la scène. Avec l’apport des vidéos avec les dessins en noir, rouge et blanc, c’était percutant à souhait. De bonnes notes aussi pour Cover Me, qui doit quand même une partie de son succès de scène au clip de la chanson avec Gahan en astronaute.
Rayon vidéo, je lève mon chapeau au superbe clip des danseurs contemporains dans un chouette appartement durant la toujours excellente In My Room et à celui de l’artiste masculin qui se transforme en chanteur androgyne pendant Walking In My Shoes. Cela dit, l’apport visuel le plus hilarant du spectacle se veut sans contredit la succession d’animaux (lapin, chien, vache, cochon, cheval, dinde, etc.) dans un lieu désert durant une interprétation tonitruante de Enjoy the Silence. Peut-être le contraste le plus spectaculaire jamais vu entre « l’image » et le « son » dans un spectacle. Fameux.
En revanche, Depeche Mode me désespère parfois avec ses entrées de scène. Je leur avais reproché, déjà, en 2013. Ce fut moins pire cette fois, mais, non, tu n’es pas obligé d’amorcer le spectacle avec ton nouveau single (Going Backwards) au tempo lent quand près de 16 000 personnes hurlent leur vie. Il aurait pu servir plus tard et Depeche Mode aurait dû commencer avec la vivifiante So Much Love, interprétée tout de suite après. Oh, well…
Une question d’équilibre
Sinon, le trio respecte sa façon de faire : six chansons de leur répertoire des années 1980, huit des années 1990 et sept des années 2000. Depeche Mode ne vit pas que dans le passé. Équilibre, donc, mais le groupe dont la sélection de chansons est fixe d’un soir à l’autre fait des choix qui peuvent être déchirants.
Fameuse idée de ressortir A Question of Lust, pas entendue à Montréal depuis… le siècle dernier? Et brillante idée de ramener World In My Eyes, chanson d’ouverture de Violator, pas entendue dans la métropole depuis plus d’une décennie. Mais, dans ce cas, au point de sacrifier Policy of Truth du même disque? Je suis prêt à parier que bien des gens auraient préféré l’entendre plutôt que Heroes, même si l’hommage à Bowie était fort louable avec un drapeau noir effiloché qui flottait au vent sur l’écran.
La tête et le cœur
Mais bon. Je ne vais pas chipoter. Depeche Mode, par l’entremise de Martin L. Gore au chant, a touché droit à la tête et au cœur avec Home et la sublime Somebody. Et puis, durant les 70 dernières minutes, outre la reprise de Bowie ainsi que Enjoy the Silence et Walking In My Shoes nommées plus haut, le groupe n’a aligné que des classiques tirés de Construction Time Again (1983), Black Celebration (1986), Music For the Masses (1987), Violator (1990) et Songs of Faith and Devotion (1993).
De Everything Counts à Personal Jesus, en passant par Stripped, Never Let Me Down Again et I Feel You, le mercure était aussi brûlant que le son assourdissant : soixante-dix minutes de ferveur, de chants fédérateurs et de sueur.
Gahan, comme toujours dans une forme de calibre olympique, a fait tournoyer son pied de micro dans tous les sens, tout en dansant sur la scène et sur la passerelle avancée au parterre (sous-utilisée) avec ses souliers de noces. Et la noce, immense, a dansé du parterre jusqu’au dernier balcon du Centre Bell.
C’est pour ça que l’on retournera – encore une fois – les voir lors de leur prochain passage, peu importe la qualité du nouveau disque. Car ce qui compte, c’est la qualité du spectacle. Et comme Gahan le dit dans Personal Jesus : il faut être sur place afin de pouvoir toucher à la foi.