Sur la photo qui orne l’anthologie Ma demeure, Richard Séguin tient une cabane à moineaux. Image forte, s’il en est une, qui ramène autant à l’homme maintenant âgé de six décennies qu’à l’œuvre qui en compte désormais plus de quatre. Une demeure pour durer, a-t-on le goût de renchérir.
Par Philippe Rezzonico
La Nouvelle Frontière, les Séguin, Fiori-Séguin et, bien sûr, Richard Séguin en tant qu’artiste individuel de plein droit: collectif de jeunesse, duos avec sa sœur Marie-Claire, et collaboration éphémère mais marquante avec Serge Fiori durant sa première décennie, puis, œuvre personnelle foisonnante qui en survole désormais trois de plus.
Tant de jalons de carrière, de moments de vie, de partage, d’amitié et de classiques de la chanson d’ici évoqués et rassemblés dans ce coffret de trois disques et DVD (sauf pour La Nouvelle Frontière, qui n’est évoquée que dans le livret). Un parcours exemplaire pour notre Richard Cœur de lion qui, à mes yeux, aura été l’artiste québécois de souche qui aura le mieux fait le lien avec les racines musicales de notre continent nord-américain sans aucunement perdre son identité québécoise.
Au-delà de la pertinence de cette anthologie qui fait coup double en soulignant les dates charnières de vie et de carrière du principal intéressé, elle vient aussi combler un vide étonnant : en 40 ans de carrière, Richard Séguin n’a jamais mis en marché une compilation de grands succès.
Le constat est révélateur, surtout à une époque où n’importe quel artiste mineur, voire, carrément de seconde zone, s’offre un Greatest Hits après dix ans de carrière…
« Je n’ai pas abusé des compilations, dit Séguin, sourire en coin. Et en même temps, je ne voulais pas que ça soit une intégrale. Comme dit mon ami Florent Vollant : « Trop, c’est comme pas assez ». Les intégrales, je trouve ça excessif. Même avec les artistes que j’aime, que ce soit Dylan ou Springsteen, quand tout ça sort, tu es submergé…
«Il y aurait peut-être pu avoir une place pour un quatrième disque, un genre de Basement Tapes. Il y a beaucoup de travail de pré-production avec Hugo (Perreault), beaucoup de chansons que je faisais pour d’autres, qui ne sont pas dans les mêmes versions. Des beaux textes de Marc Chabot, des chansons qui dorment… Mais je me garde ça pour plus tard… »
Outre les 49 titres regroupés sur les trois disques, on a joint le DVD de la récente tournée De colères et d’espoir, gravée lors des FrancoFolies de Montréal. Un formidable spectacle qui nous permet de voir où en est Séguin, aujourd’hui.
N’empêche, on se dit qu’un équivalent d’une autre époque comme le spectacle Vagabondage qui a fait l’objet d’un disque audio en 1993, aura été un pendant intéressant. Au fait, ce spectacle, il a bien été filmé à l’époque, non?
«Oui, mais ça aurait été trop coûteux à aller chercher. Les droits appartiennent à Astral. Et il y a eu aussi une collaboration avec MusiquePlus. C’était excellent. La réalisation avait été faite par deux réalisateurs, l’un de MuchMusic, mais aussi Denis Villeneuve. Il y a les droits, donc, mais aussi le fait qu’on voulait garder le coffret à un prix raisonnable, ce qui aurait été difficile en mettant cinq disques.»
Retracer le passé
S’il n’y a pas de chansons de La Nouvelle Frontière dans le coffret, les périodes des Séguin, de Fiori-Séguin et de Séguin lui-même sont toutes représentées. Quand tu décides que tu ne fais pas une intégrale, tu entres donc dans la zone grise des choix éditoriaux.
Exercice toujours douloureux, surtout quand tu 17 albums sous la main, en comptant les disques-maison Solo (2003) et Écho (2010), que Séguin vend d’ordinaire exclusivement lors de ses escales de spectacles. Quoique, Richard n’avait pas toutes les bandes sous la main. Vraiment pas.
«On a perdu les bandes de Trace et contraste (1980). Même chose pour les premiers Séguin.»
– Pardon?
« Oui. Parce que ça appartenait à Warner Bros.. Warner qui a vendu à CBS qui a vendu à quelqu’un d’autre. »
– Ça ressemble au roman-savon des disques de Stephen Faulkner, ton histoire.
«En effet (rires). Heureusement, chez Karisma, ils étaient équipés pour digitaliser. Nous sommes repartis des vinyles neufs, jamais ouverts. Il y avait une récupération importante à faire au niveau des archives. Une fois franchi les années 1970, ça allait. J’ai toute la période Audiogram sous la main.»
Faire le tri
Donc, choix éditoriaux. Il n’y a aucune chanson de Festin d’amour (1976) des Séguin dans le coffret. La version de Double Vie et celle de La raffinerie sont celles de Vagabondage, car Séguin ne pouvait plus supporter la production «années 1980» du disque Double Vie (1985) – nous non plus, d’ailleurs. Idem pour Chanson pour durer toujours, qui était au départ sur Trace et contraste.
J’te Cherche, de Double Vie, est sur la compilation simple Les classiques (1985-2013), mais pas sur le coffret. À l’inverse, Les bouts de papier, de l’album Aux portes du matin, n’est pas sur la compilation mais dans le coffret. C’est ce qui arrive quand tu as trop de bon matériel sous la main.
Pour le reste, tout y est, de Chanson démodée à Écris, écris, tout en passant par Chanson pour Marthe – sa compagne depuis 40 ans -, Journée d’Amérique, Protest Song et autres Sous les cheminées. Choix personnel : j’aurais pris Jamais dompté – une chanson qui définit ce qu’est Séguin comme pas une, même si elle ne s’adresse pas à lui – à la place de Lettre à Zlata, mais bon…
Et ce n’est pas fini. Parce que 60 ans, c’est encore jeune, à en juger par la longévité de certains des modèles de Séguin, encore très actifs.
«Je ne pourrais pas faire des spectacles de trois heures comme Bruce, mais avec Hugo et Simon, principalement lors du dernier spectacle, on vient de s’apercevoir qu’on vient d’ouvrir une porte à l’expérimentation, juste à trois. »
L’histoire n’est pas terminée. Et la maison, bien construite, est là pour durer…
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Richard Séguin, Ma demeure (Spectra musique), 4,5 étoiles