
Richard Séguin a subjugué son auditoire, vendredi, en présentant son spectacle De colères et d'espoir, à L'Astral. Photo Jean-François Leblanc/Coup de coeur
Son album Appalaches, Richard Séguin a admis l’avoir marché dans les sentiers et les montagnes, alors qu’il était en train de naître dans sa tête et dans son cœur. Vendredi, c’est ce que nous avons fait. Comme Richard, nous avons marché. Avec lui. Dans ses pas. Et le périple fut magnifique.
Par Philippe Rezzonico
Concrètement, nous n’avons jamais quitté L’Astral. Mais dès que Séguin a interprété Pour retrouver le monde et l’amour avec un bruit de fond de grillons, l’ambiance était installée. Aussi loin que je me souvienne, le roi Richard a toujours eu cette capacité de subjuguer un auditoire en un tournemain. Et c’est peut-être plus vrai que jamais de nos jours. Charismatique, même regard droit depuis toujours, stature qui en impose comme avant et chevelure encore abondante qui affiche dorénavant sa sagesse.
Héritier de Jack Kerouac et Woody Guthrie (son grand-père est né au Wisconsin) pour son regard nord-américain sur notre monde, descendant direct de Félix et Miron pour son apport à notre langue française, Séguin est un homme dont les chansons sont autant des prises de positions politiques (Lettre au PM) que des manifestes (Écris, écris), autant des chansons d’espoir naïves (Des allumettes pour s’éclairer) que des cris de colères sourds (Qu’est-ce qu’on leur laisse ?).
Comme il le précise, «la nostalgie amène la tristesse», tandis que «l’histoire renvoie à l’espoir». Et l’histoire, il l’a privilégiée. Les histoires de ses récentes chansons s’entend, puisque plus de la moitié des titres interprétés provenaient de Appalaches et Lettres ouvertes, ses deux derniers disques, auxquels il a greffé ses contributions dans le cadre du projet Douze hommes rapaillés. Contemporain dans le moment, donc, même si nombre de ces excellentes chansons parlent aussi du passé.
Les trois guitares
Pour l’accompagner, uniquement les guitaristes Hugo Perrault et Simon Godin. Mais uniquement ne voulait pas dire exclusivement minimaliste. Trois guitares et trois voix, ça donne une vigueur étonnante à La route ouverte, vivifiant road song.
Trois instrumentistes similaires, ça permet à Séguin de lancer L’ange vagabond à l’harmonica, alors qu’il baigne dans le faisceau de lumière qui strie l’espace, pour accélérer le tempo et conclure dans une montée commune de cordes en puissance. Oh là, là… Que l’on a eu des flashs du temps du Séguin au Spectrum à ce moment. Frissons garantis. Pardon… Coup de cœur, puisque la rentrée de Séguin était proposée dans le cadre du festival francophone.

Magnétisme, stature, charisme: Séguin n'a rien perdu de sa superbe. Photo Jean-François Leblanc/Coup de coeur.
Parfois, les livraisons étaient volontairement réduites au minimum, ce qui conférait des ambiances enveloppantes en raison de l’éclairage clair-obscur de Jean-François Couture. Besoin du Nord, inspirée d’un voyage à Kuujjuaq et d’une rencontre avec quelques milliers de caribous, était rien de moins qu’envoûtante.
Pour sa part, Sous les cheminées était belle à pleurer, Séguin n’ayant besoin que de lever le bras pour que la foule entonne le refrain, sans hausser le ton, afin de conserver la magie intacte. On notait le même genre de magnétisme qu’affichait Springsteen pour sa tournée The Ghost of Tom Joad à Wilfrid-Pelletier en 1996. Richard s’en souvient sûrement. C’est lui qui avait appris à Bruce de dite « icitte », en bon québécois avant le spectacle.
Conteur hors-pair d’histoires et d’anecdotes – fallait l’entendre parler d’un spectacle de Ravi Shankar vu en 1972 -, Séguin nous a offert un triplé socio-politique coup de poing. La succession de In God We Trust, qui démontre l’étendue de la phobie des Américains envers Dieu; son introduction à Lettre au PM, où Stephen Harper passe un mauvais quart d’heure; et l’incontournable Protest Song, toujours d’actualité plus de deux décennies après sa création; ont mené à un enchaînement parfait.
Il a repris le même concept en deuxième portion du spectacle en livrant l’une après l’autre Compagnon des Amériques et Journée d’Amérique, qui, contrairement à Protest Song, perd beaucoup d’impact une fois privée de section rythmique.
C’était ce que je me disais au terme de ce lumineux spectacle qui sera repris samedi, au même endroit : Ça fait plus de dix ans que Séguin est plus acoustique qu’électrique et qu’il privilégie «l’histoire» à la «nostalgie».
L’an prochain, pour ses 60 ans – eh, oui -, une anthologie et un spectacle avec une forte portion électrique, comme ceux des années 1980 et 1990 vécus au Spectrum, ça serait bien. Quitte à faire dans la nostalgie…