Serge Fiori (2) : le for intérieur

Serge Fiori. Photo courtoisie Jean-Charles Labarre

LONGUEUIL – Les chansons de Serge Fiori ont touché des tas de générations pour de multiples raisons et il y en a une poignée sur le nouveau Serge Fiori qui va produire le même effet.

Par Philippe Rezzonico

Il y a les titres à plusieurs niveaux d’interprétation, mais aussi ceux où il y a une forme d’équilibre. Où le propos, pas nécessairement joyeux, repose sur une musique où l’on ne sent pas le besoin de s’ouvrir les veines. Et cette façon de confectionner ne date pas d’hier.

« C’est (Luc) Picard, qui me faisait remarquer qu’avec les quatre lignes les plus tristes au monde, j’avais créé une chanson que tout le monde voulait chanter: « Où est allé tout ce monde, qui avait quelque chose à raconter…. »

« Cette chanson (Un musicien parmi tant d’autres),  c’est d’une tristesse finie. C’est un constat complètement looser qui rassemble le monde (éclat de rire). J’ai écrit ça à 17 ans… Je suivais (Pierre) Bourgault. Je suivais tout le monde.

« Si tu couches des propos durs sur une mélodie dure, tu viens de dépasser la ligne de l’intérêt. Ça devient un cliché. Lourd sur lourd, joyeux sur joyeux… Moi, c’est dans le gris que je me retrouve. J’écris rien à un degré. Ni comme citoyen, ni comme amoureux. »

Dans Zéro à dix, Fiori couche sur papier des paroles où l’âge, la semaine et les décennies défilent à toute vitesse. Une chanson tripartite sur le temps qui passe, comme un Azanavour en a le secret. Sauf qu’ici, elle repose sur des solives blues-rock qui font passer la pilule plus facilement. L’auteur-compositeur-interprète, il faut le préciser, trouve que le temps passe trop vite.

« Ça a sorti comme ça. L’âge, la semaine et les décennies. Je trouvais que le parallèle était tellement le fun à faire entre les trois affaires. Tu as remarqué que j’ai omis les décennies 1980 et 1990. Il s’est rien passé pour moi dans ces décennies-là (sourire). »

Le Fiori d’aujourd’hui

Élément essentiel de ce disque réalisé par Marc Pérusse, l’album devait représenter à tout prix ce que Fiori est devenu en 2014, tant l’homme que l’auteur-compositeur.

Avec Fiori, transparence totale. Photo courtoisie Jean-Charles Labarre

« C’était important de signer ce que je suis aujourd’hui. Comme on dit, what you see is what you get. » Le dossier, pour moi, il fallait qu’il soit complet et qu’il se termine avec Si bien et l’épilogue. J’ai pas fait dix chansons. J’ai construit ça en album. »

Le présent n’a pas empêché le principal intéressé de composer des titres qui font allusion à ses problèmes du passé, comme Démanché.

« Les gens ne savent pas que j’ai un grand sens de l’humour. Ils pensent que je suis toujours sérieux. Démanché, c’est le clin d’œil à l’alcool. Le lendemain de veille permanent (éclat de rire partagé) »

Le Fiori intérieur

Il y a des chansons qui prennent aux tripes sur le disque : Seule (qui s’adresse à sa mère), Jamais (regard sur une relation de couple, avec Monique Fauteux), Laisse-moi partir (qui parle de son père) et Si bien, peut-être bien l’une des plus belles chansons qui soit.

Des chansons que l’on écoute en boucle, sans se lasser, tant elles sont enveloppantes, réconfortantes et intenses, tout à la fois. On plane comme on planait sur L’Heptade, quoique pas nécessairement pour les mêmes raisons.

La force d’évocation de Fiori qui parle de son père disparu en 1997 est quantifiable sur disque, mais encore plus en entrevue. Dans son fauteuil, il bouge, il se meut, il fume et il en parle comme si les deux hommes d’étaient quittés la semaine dernière. Il évoque les derniers instants de son paternel qui était en train d’écouter sa musique (ses albums de Shiva Mantra avec Peter Keogh), en parlant du « du moment le plus gravé dans ma mémoire de ma vie ».

« Il s’est assis et il est parti comme ça (pfff!) Et on était à la même distance que nous deux présentement. Mon père était un italien qui buvait du vin. Je ne pensais jamais qu’il allait partir sur cette musique. »

La raison d’être

Ce Fiori introspectif, a, de son propre aveu, eu une transition aisée entre les maquettes créées au quotidien durant une dizaine de jours et le passage en studio. Sauf pour une chanson…

« Si bien, c’est la raison d’être de l’album. Si celle-là est pas là, j’aurais eu de la misère avec le reste. Elle a signé « toute »… »

– Doit-on en déduire que ça été la première créée? Le déclencheur?

« Non Ça a été la dernière que j’ai composée. Quand j’ai mis le point sur ma feuille, je savais que j’avais un disque. Je savais que c’était ça. Mais le plus drôle, c’est que j’ai pas été capable de la chanter de l’été… On avait neuf tounes, mais j’ai pas pu la chanter avant le mois de septembre.

« On l’a fait live, une take. Avec Marc Pérusse tourné le dos à la console. On n’a pas eu de réaction. C’était tellement étrange comme sentiment. On n’en a jamais parlé. On a fini l’enregistrement. Il a fait stop… On a été prendre un café. Et on a eu la même insomnie, car on l’avait dans la tête à minuit le soir. C’était envoutant. On l’a réécoutée le lendemain, et là, on pogné de quoi… C’est ma grande, grande fierté cette chanson-là.

« C’est une chanson sur l’environnement. C’est parti sur une chanson sur l’environnement et c’est devenu une chanson sur le Québec. »

– Les niveaux de lecture, donc.

« Je ne suis pas capable autrement. Sinon, écris-le en texte et fait un livre. Ma précision est ailleurs. C’est Joni Mitchell qui m’a appris ça, elle qui a quatre niveaux de lecture. »

– Et peut-on en espérer un autre, de niveau de lecture? Sur scène, par exemple?

« Depuis mon diagnostic de l’an dernier, je sais que beaucoup de mes problèmes ne sont pas causés par ce que je pensais. C’est un problème mécanique. Un problème de neurotransmetteurs. J’ai des médicaments. Je n’aurais pas fait cet album si je n’avais pas cette médication.

« La suite logique, la scène… C’est beaucoup plus compliqué pour la garantie de mon état que ça peut l’être en studio. Je me suis arrêté, parfois, en pleine session. Je continue à prendre soin de moi, à m’ajuster. Si à un moment, je peux garantir à un producteur et à un public qu’en plein milieu de la quatrième tourne, je ne sauterai pas à la septième… Oui.

« Le seul malaise que j’ai, c’est ça. Cette garantie. Ce malaise-là, il est hors contrôle. Oui, ça me tente de jouer. La tournée, c’était le bonheur. On faisait 200 shows par année. Le stage, c’était ma cuisine. J’adorais.

« Je ne jouerais pas pour me le prouver. Je ne jouerais pas pour régler cette énigme. Je jouerais vraiment parce que j’ai besoin de jouer. »

Comme il le dit lui-même, Fiori a vaincu « l’Himalaya » en studio. Donc, qui sait?

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Serge Fiori, Serge Fiori (GSI Musique)

4 étoiles et demie

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