Les deux affiches ne pouvaient être plus dissemblables : Marina and the Diamonds et Christine and the Queens mardi, au Métropolis, ainsi que Bernard Adamus et Francis Faubert, jeudi, au Club Soda, pour la soirée d’ouverture du Coup de cœur francophone.
Par Philippe Rezzonico
Deux femmes, deux Européennes de nationalités différentes parmi les plus en vue du mouvement électro/pop/dance du moment. Et deux Québécois, francophones, parmi les artistes les plus contemporains qui soient, aux racines profondément ancrées dans notre terroir.
Mardi, donc, dans un Métropolis bondé, Christine and the Queens est venue lancer le bal. Zéro surprise, certes, après avoir vu la dame dans un spectacle en tête d’affiche dans ce même Métropolis lors du festival Montréal en lumière, puis faire rebelote durant le Festival Osheaga cet été.
Cette prestation – la plus courte des trois – a néanmoins été à la hauteur des précédentes. Avec ses chorégraphies rodées au quart de tour, sa musique qui incite à dodeliner de la tête et son irrésistible personnalité attachante, la Christine française retient l’attention à tout coup. Disons qu’elle n’avait pas l’air d’une inconnue programmée en première partie d’une vedette internationale.
Avec ses Christine, Saint-Claude et autres succès déjà imprimés dans la mémoire collective, elle a conclu une année mémorable au Québec.
Marina en trois actes
Pour la Marina galloise, le spectacle était aussi un retour au Québec, après une prestation digne de mention à Osheaga. Sauf qu’en vase clos et soutenue par une production étoffée que l’on voit le plus souvent en aréna, Marina and the Diamonds a décuplé la puissance de frappe de ses chansons.
La chanteuse à la voix opératique avait scindé sa prestation en trois actes qui représentaient chacun de ses trois plus récents albums. Le concept lui a permis, tel une Cher, à changer de costumes pour chaque bloc.
Au plan visuel, le lien avec la grande culture pop américaine était patent : références à Betty Bop et Marilyn Monroe, images animées éclatantes de couleurs, dignes de jeux vidéo, animations de dessins d’Andy Warhol, oreilles de Minnie Mouse (?), jumpsuits moulants qui rappelaient ceux d’Elvis dans les années 1970, paillettes, ballons… Ouf! Marina a présenté une production qui s’approchait de celles habituellement réservées à des spectacles d’aréna.
Dire que l’on ne savait où donner des yeux ou des oreilles lors des livraisons de Bubblegum Bitch, avec les grandes lèvres en arrière-plan, de Primadonna, chantée en cœur par la foule, de Froot, quand Marina s’est installée sur la plateforme auprès de ses musiciens, relève de l’évidence. Dites-vous bien que même ses t-shirts vendus au kiosque à souvenirs étaient parfumés! Franchement inédit.
La fureur de vivre
Quarante-huit heures plus tard, le monde multicolore de Marina et Christine au Métropolis avait fait place en bonne partie aux tons de Brun… et d’autres dérivés au Club Soda. Les livraisons vocales, elles aussi, étaient d’un autre ton.
Il fallait entendre Francis Faubert, tel un survivant de la musique (il a failli tout plaquer), nous asséner ses chansons comme autant d’exutoires de délivrance. Avec sa casquette très années 1990 sur la tête, flanqué de Dany Placard et de ses collègues Antoine Corriveau et Mathieu Vézio, Faubert me faisait penser à un James Dean d’une autre génération (propre au Québec) qui avançait, envers et contre tous, et pour qui La fureur de vivre et le désir d’exister était primordial.
Volcan, Maman et les autres titres de son disque Maniwaki étaient autant de coups de poing percutants et de cris du cœur saturés de guitares abrasives et joués à plein volume. Seulement 35 minutes de prestation, mais on ne s’est pas ennuyé une seconde.
Bernard en feu
Faubert a efficacement chauffé la salle pour Adamus qui s’est amené sur scène avec son groupe avec son attitude gaillarde et authentique. Premier geste? S’assoir, enlever ses souliers et ses chaussettes. Pieds nus. Comme à la maison. Pour Adamus, une scène, c’est aussi la maison…
Officiellement, ce spectacle d’Adamus était la rentrée montréalaise de son nouveau disque Sorel Soviet So What. Officieusement, ce fut un spectacle qui a confirmé ce que tous savaient déjà : Adamus est là pour rester. Longtemps.
Le grand Bernard pouvait jouer dans n’importe quel ordre des chansons de Brun, de No. 2 ou du petit dernier, le résultat était le même : nous étions dans l’ordre de la communion la plus totale entre artiste, sa musique et ses admirateurs. La surchauffe du Blues à GG, le feu roulant durant Les pros du rouleau, chanson pour ivrognes, dirait Plume, et la cavalcade galopante de En voiture mais pas d’char…, tout a fait mouche auprès d’un public qui chantait les paroles des titres d’Adamus comme d’autres chantent les immortelles des Beatles.
Ou les immortelles des autres… Adamus a glissé quelques mesures de Rainy Day Women 12 & 35, de Dylan, durant Jolie blonde, une chanson « sans mauvaises intentions dédiée à ma fille », qui goûte les effluves de la Louisaine et il a repris Faire des enfants, du roi Leloup, qui a irradié le Club Soda.
Et Adamus a bien fait rigoler quand il a dit, avant d’interpréter Le scotch goûte le vent, qu’il allait la faire en version folk, parce que « au début, c’était un groupe folk ». Le groupe de Bernard Adamus cuvée 2015, en effet, est bien plus que ceux.
L’amalgame guitare, contrebasse, banjo, batterie, chœurs, piano, harmonica, cuivres (trois saxophones) donnaient une richesse majorée à des anciens titres et magnifiaient les nouveaux. Adamus a précisé que la version de Rue Ontario – sirène de police en prime – était une version de 2015. Elle était pétaradante, comme presque tout le reste.
Il y avait quelque chose comme de la joie de vivre dans ce spectacle. Avant d’interpréter une Hola les lolos lumineuse, Adamus la dédiée à « l’État islamique, au Christian Belt et à tous ceux qui manquent d’amour en général. »
Mais il y avait plus que ça. Les comparaisons sont parfois hasardeuses, mais plusieurs fois durant le spectacle, durant l’écoute des fédératrices Arrange-toi avec ça, Brun, La question à 100 piasses et Cadeau de Grec, je me suis dit que ce spectacle, ce spectacle-là, était celui qui me rappelait le plus la virée des Colocs au Spectrum en 1995. Encore plus que d’autres prestations de légende des Cowboys fringants ou de Loco Locass vues entre les deux.
Comme si Adamus, avec sa voix particulière, sa touche singulière, et désormais ce groupe accompli autour de lui, semblait plus que jamais l’héritier direct d’André Fortin. Peut-être suis-je complètement dans le champ, mais alors que l’on souligne à gros traits les 20 ans du référendum ces jours-ci, je me dis qu’il y a un esprit et une esthétique musicale de cette époque qui a survécu.