Still Dreaming: le rêve toujours vivant

Joshua Redman, Scott Colley, Brian Blade et Ron Miles. Photo BenoirRoussdeau/Courtoise FIJM

Joshua Redman, Scott Colley, Brian Blade et Ron Miles. Photo Benoit Rousseau/Courtoise FIJM

« C’est un peu curieux, parce que, finalement, nous faisons l’hommage de l’hommage. Mais bon…»

Par Philippe Rezzonico

C’est ainsi que le saxophoniste Joshua Redman a quelque peu ironisé, mardi, à la Maison symphonique, sur l’intention qui a mené à la création du quartette Still Dreaming, qu’il forme depuis 18 mois avec ses collègues Ron Miles (cornet), Scott Colley (contrebasse) et Brian Blade (batterie).

Still Dreaming, c’est l’hommage d’un quartette à un autre, ici, celui de Old et New Dreams, qui était formé durant les années 1970 et 1980 par Don Cherry (cornet), Dewey Redman (saxophone, le papa de Joshua), Charlie Haden (contrebasse) et Ed Blackwell (batterie).

Qui plus est, ces derniers étaient des amis, collègues et disciples du légendaire et révolutionnaire saxophoniste Ornette Coleman. Nous savions donc déjà que nous n’allions pas entendre du jazz d’ascenseur à la Kenny G. Excellent.

Ce que nous ne savions pas, c’est qu’une seule des pièces interprétées par le quartette durant le concert allait être une reprise du répertoire de Old and New Dreams, à savoir, Guinea, composée par Cherry, troisième offrande de la soirée.

Pourtant, Redman et sa bande avaient amorcé la soirée avec deux instrumentales qui s’inscrivaient tout à fait dans l’héritage de Coleman et de OND. La première, en ouverture, avec son tempo trépidant, montrait déjà les énormes possibilités de cet ensemble qui regroupe quelques-uns des meilleurs instrumentistes jazz de sa génération.

La seconde, était une fanfare d’échanges éclatants entre les instrumentistes. Mon pote Frank, qui était sur place, se demandait d’ailleurs quelle pièce de Coleman cela pouvait être cette deuxième composition.

Dans les faits, la première était une nouvelle composition de Redman, la seconde (New Year), une de Colley. C’est là que l’on a saisi que Still Dreaming n’allait nullement faire du mimétisme des grands du passé. Au contraire, exempté de contraintes, le quartette de 2017 allait revendiquer la même liberté musicale que ses ainés. Le rêve est toujours vivant.

Les dialogues vifs et févrieux, ou empreints de douceur de Redman et Miles, étaient magnifiquement articulés. Leurs solos s’enchaînaient avec une fluidité remarquable, au point que l’on avait l’impression que la dernière note du solo de l’un traversait la salle pour plonger dans l’instrument de l’autre. Exemplaire connivence.

L’esprit «free» de Coleman, était omniprésent, mais rarement les solos s’étiraient à l’infini. On ne s’éloignait guère plus que quelques instants de la ligne mélodique des compositions.

Il était de tout façon impossible pour quiconque de demeurer longtemps sur ses positions. L’allumeur notoire qu’est Brain Blade était là pour mettre le feu dès qu’il sentait qu’il pouvait y avoir un quelconque embourgeoisement musical de ses collègues.

Avec ses relances fréquentes, son sourire éternel et sa fougue de gamin, Blade a dynamisé les échanges sans jamais prendre l’avant-scène, hormis un solo de son cru dans une finale qui réunissait Song for Che et une composition de Coleman qui a été intégrée au milieu de celle de Charlie Haden.

Cette sélection du classique de Haden, immortalisé avec le Liberation Music Orchestra, était d’autant plus judicieuse que Dewey Redman et Don Cherry étaient au nombre des musiciens du Liberation à l’époque (1970).

Père et fils, maîtres et disciples, donc, tous étaient là en personne ou en esprit pour une célébration d’un jazz sans filet, de haute tenue, mais néanmoins d’une qualité harmonique qui le rendait bien plus accessible qu’à l’époque où Ornette a provoqué sa grande révolution. Épique.