D’ordinaire, quand un artiste comme McCartney ou un groupe comme le E Street Band offre un concert de plus de trente chansons de tout près de trois heures, les spectateurs sortent de l’aréna repus et ravis. Il n’y a pas eu cette unanimité, mardi, quand les gens ont quitté le Centre Bell après le spectacle de The Cure.
Par Philippe Rezzonico
Après plus d’une heure, un ami notait sur mon profil Facebook qu’il avait hâte aux chansons de la période 1980-1984. Après le spectacle, un de mes frères de sang m’appelé pour me dire que Robert Smith n’avait pas besoin de passer la deuxième heure du show à s’assurer que nous allions tous demeurer assis sur nos sièges. Et une autre amie qui était déçue. Et j’en passe. Voyons ça de plus près.
On s’entend tous sur un truc, amorcer le spectacle avec la placide Out of This World, tirée de Bloodflowers (2000), ce n’était pas l’idée du siècle. Mais l’enchaînement avec la musclée Watching Me Fall – du même album – avec les coulisses de sang qui dégoulinaient sur les 5 écrans, s’avérait bien pensé et efficace. Et la première clameur des 12 000 spectateurs s’est fait entendre dès les premières notes de Pictures of You, chanson chouchou des années 1980.
On avait alors compris le principe. Durant la première heure, chaque nouvelle chanson haussait un peu plus la fièvre. High, A Night Like This (excellente), Lovesong (toutes les filles se sont levées dans ma section), Last Dance (les gars ont suivi…) et Push (avec ses deux minutes et demie instrumentales bétonnées avant le premier couplet) ont précédé l’immortelle Inbetween Days qui a fait exploser le Centre Bell. Et Just Like Heaven s’est assurée de maintenir l’incendie. La fille devant moi a eu quelque chose comme un orgasme (il fallait entendre son cri) dès les premières notes de la chanson. Une heure avec un crescendo irrésistible. Une classe de maître. Et puis, la rupture.
Bien sûr, ça prend des creux pour relancer des vagues, mais Smith et sa bande ont alors bouclé un segment d’une heure et 20 minutes en partageant le chaud et le froid. La solide 2 Late étant suivie par le doublé éthéré From the Edge of the Deep Green Sea/The Last Day of Summer. La bouillante 39 – avec ses images de feu – a fait monter le mercure, mais Bloodflowers a conclu en mode planant ce long segment.
The Cure a ensuite enchaîné les – faux – rappels qui sont en réalité l’occasion de proposer des blocs de chansons thématiques. Un peu raté avec le premier rappel qui comprenait It Can Never Be the Same (pourquoi diable cette chanson?) et Pornography, qui était interprétée sur scène pour la première fois en près de 15 ans. Belle surprise.
C’était au contraire très réussi au second avec la vivifiante Never Enough qui a donné le signal du réveil, Burn, tirée du film The Crow, avec son intro à la flûte traversière, et A Forest, qui figure sans nul doute parmi les trois meilleures chansons de l’histoire du groupe. Interprétation remarquable de Smith (qui était en voix) et du groupe.
C’était plus inégal dans le troisième avec Dressing Up (je m’en serais passé), Lullaby (la liesse totale), Fascination Street (je connais quelqu’un qui était fou de joie) et Wrong Number, avec son enfilade de numéros sur les écrans.
À l’inverse, nous étions en mode bombardement de succès et en mode « danse » pour l’ultime rappel qui comprenait le funk de Hot Hot Hot!, Let’s Go to Bed, Close To Me, Why Can’t I Be You? (pétaradante) et la légendaire Boys Don’t Cry, cette fois, pas interrompue pas une rupture de son, comme ce fut le cas à Osheaga en 2013. Rien à redire là-dessus.
Il y en a qui étaient déçus de ne pas entendre Plainsong ou Friday I’m In Love? Il fallait être là en 2013. Remarquez, plus de la moitié des chansons au programme hier ont été jouées à Osheaga il y a trois ans. Et on n’avait pas vu cette déferlante de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux. Comme quoi le « pacing » d’un show tient à peu de chose.
Vous vouliez plus de chansons des albums Boys Don’t Cry (1979, pressage américain) et Seventeen Seconds (1980)? Il fallait être là en 2008 quand deux des rappels ont été entièrement consacrés à ces albums. Oui, entendre en succession A Night, M, Play For Today et A Forest, et puis, tout de suite après Boys Don’t Cry, Jumping Someone Else Train, Grinding Halt, 10 :15 Saturday Night et Killing An Arab en succession, c’était imbattable.
Mais s’il m’arrive de reprocher à des artistes de faire impasse sur des succès dans des spectacles de 90 minutes, je ne vais pas jeter la pierre à un groupe qui joue 31 chansons durant deux heures et cinquante minutes, qui propose une première partie de 40 minutes (The Twlight Sad), tout ça, avec la moitié des billets vendus dans le Centre Bell pour 60 $ !
Bref, il faut relativiser. Smith a bâti un « pacing » aussi échevelé que sa coiffure (pas nouveau) et il y a une demi-douzaine de chansons que l’on aurait préférées à une demi-douzaine d’autres. Mais décevant, ce concert? Pas une minute. J’y retourne en courant la prochaine fois.