Gimme Shelter! Rien que ça. Pas en musique de fond. Non. Le classique des Rolling Stones était intégré à l’entrée en scène du groupe The Lumineers au Centre Bell, vendredi soir, dans le noir, avec vidéo en soutien et paroles de la chanson sur les écrans. Gonflés, les Américains.
Par Philippe Rezzonico
Remarquez, ça en dit autant sur le respect que le groupe de Wesley Schultz et Jeremiah Fraites porte aux légendes du passé qu’à la confiance en ses moyens. Cela dit, après avoir été en tête d’affiche au Centre Bell en 2017 (18 mars) et lors de la soirée d’ouverture du festival Osheaga en 2019, tu es en terrain conquis.
La batterie nette et franche de Fraites – installée sur l’une des branches de la passerelle avancée géométrique du groupe a annoncé Sleep on the Floor qui a rapidement mis les quelque 11 000 spectateurs dans le coup.
Unité magnifiée
Life in the City, avec les images de New York qui défilaient sur l’écran surélevé central, a eu plus d’impact que l’été dernier au parc Jean-Drapeau. En fait, toutes les chansons de l’album III qui n’était pas encore paru l’été dernier étaient nettement plus familière au public cette fois, ce qui a conféré plus d’unité au concert.
C’est néanmoins Flowers in Your Hair, une « vieille » chanson tirée de l’homonyme disque de 2012, qui a fait vibrer le public qui a battu la mesure pour la première fois de la soirée.
Chaleureux et doté d’une belle présence de scène sans être la proverbiale bête, Schultz livre une poignée d’introductions à certaines chansons – notamment Gun Song, liée à son père -, mais c’est sa voix qui charme avant tout. Il se sert à profusion de l’espace disponible et il se permet un bain de foule au parterre, des escapades dans les gradins et un tour de la patinoire durant Angela, avant de conclure au cœur du triangle devant la scène.
Un groupe d’allégeance folk, par définition, ça aime s’approcher de la foule afin d’établir une certaine proximité. Ho Hey et la nouvelle It’s Wasn’t Easy To Be Happy For You, ont été l’occasion pour tous les membres du groupe de s’installer aux avant-postes et d’offrir le genre de bivouac rassembleur comme il en a le secret.
Paradoxe : la grande scène, la fosse centrale, l’écran surélevé, les structures pyramidales, bref, toute la quincaillerie trimbalée par le groupe originaire de Denver qui confère du style et du goût, demeure secondaire tant les chansons passent aisément la rampe. Avec les années, le groupe s’est acclimaté aux vastes salles et aux grandes scènes de festivals en plein air, mais il arrive néanmoins à créer une forme d’intimité sans artifices.
Avec son éternel chapeau, son t-shirt blanc et ses bretelles, Fraites a fort bien secondé Wesley, notamment lors du piano-voix pour Donna. Cela dit, s’il était fringuant – comme d’habitude – quand il le fallait, il m’a semblé moins présent que lors de certains spectacles de par le passé. Serait-ce dû au fait que Lauren Jacobson, qui a pris la place de Neyla Pekarek qui a quitté le collectif en 2018, semble avoir pris du galon?
La nouvelle violoniste, qui semble avoir une touche plus classique de Pekarek, a nettement plus fait sentir sa présence que l’été dernier, quand nous l’avons vu pour la première fois, que ce soit lors du solo durant la relecture de Subterranean Homesick Blues, de Dylan, où lors d’instants parfaitement calibrés.
Dès qu’elle accaparait le plancher, la musicienne à la robe jaune luisante volait pratiquement le spectacle à ses collègues. Et elle est même capable de faire une « grande roue » sur scène, comme le faisait Fergie, des Black Eyed Peas, il y a 15 ans.
Jimmy Sparks, avec les images de braises, a été l’une des chansons les plus intenses de la soirée, Gloria a galvanisé la foule, en dépit de sa trame narrative socialement grave, Salt and the Sea, fut l’une des plus frénétiques du parcours, tandis que Big Parade a été l’une des plus festives. Si l’enchaînement des chansons n’était pas toujours impeccable, The Lumineers ont désormais suffisamment de titres forts pour négocier un concert de près de deux heures sans anicroches.
L’hommage à Cohen
Schultz et Fraites avaient participé au concert hommage à Leonard Cohen en novembre 2017 au Centre Bell. Schultz l’a rappelé et le groupe a interprété Democracy avec le concours du chanteur de Mt. Joy et de J.S. Ondara, qui ont assuré les premières parties. Un grand moment doublé d’une pointe d’ironie.
D’entendre et de voir défiler sur les écrans les paroles de la chanson de Cohen de 1992 avec son leitmotiv parolier, « Democracy is coming to the USA », quand on sait ce qui se passe chez nos voisins du Sud, ça fait sourire. On verra en novembre.
Sans tout bousculer sur leur passage – ce n’est pas le genre -, mais avec une belle énergie, The Lumineers a soutenu l’intérêt jusqu’à la fin, terminant le tout à l’avant-scène, les pieds dans les confettis après Stubborn Love.
Et pendant que les photographes du groupe immortalisaient le moment devant la foule qui criait sa joie, Schulz, Fraites et leurs copains quittaient la scène lorsque Atlantic City, de Springsteen, se faisait entendre.
Un concert des Lumineers avec les Stones, Dylan, Cohen et Bruce… Musique d’aujourd’hui avec influences du passé intégrées en concept vertical. Solide.