
The Zombies à Montréal, près de 48 ans après leur passage au Forum en 1965. Photo courtoisie Montréal en lumière/Victor Diaz-Lamich
Ce que vous allez lire n’est pas une critique de spectacle, une tranche de vie ou le compte-rendu d’un événement. Ceci est une succession d’événements improbables, une kyrielle de moments surréalistes et l’aboutissement d’un rêve qui ne peut survenir que dans un monde parallèle. Ceci est une aventure vécue avec des vivants qui se pincent et des morts-vivants en pleine forme. Ceci est : The Night of the Zombies!
Par Philippe Rezzonico
Rue Sainte-Catherine, 19 heures, en face au Métropolis. Je lève les yeux vers la marquise et je lis : The Zombies. Impossible. Les Zombies, ils sont séparés depuis la fin des années 1960. Tout le monde le sait. J’ai grandi toute ma vie d’adolescent et d’adulte en écoutant Time of the Season, Tell Her No et She’s not There en me disant que je n’entendrais jamais ces chansons-là sur scène.
Pourtant, c’est bien inscrit sur le billet : Montréal en lumière, The Zombies, jeudi 28 février, 20 heures. Au fait, pourquoi suis-je là si tôt. Ah, oui… Un « meet and greet » avec le groupe avant le spectacle, vers 19h15. Illogique. Je n’ai jamais accepté une invitation de rencontrer un groupe avant un show en 28 ans de carrière. Pourquoi l’aurais-je fait ce soir?
Les spectateurs arrivent et traversent le hall. Je regarde mon IPhone : 19h07. Encore quelques minutes à patienter. Puis… le trou noir! En fait, pas complètement opaque, mais très noir. Tout le hall vient de plonger dans le noir. Quelques cris de surprise, mais pas de panique.
Montréal sans lumière
Panne générale? Non. Tout est illuminé dans la rue à l’extérieur, incluant la marquise du Métropolis. On ne parle pas de panne localisée, mais de panne très localisée, comme si quelqu’un avait coupé le courant uniquement dans la salle. Soudainement, le festival Montréal en lumière devient Montréal sans lumière. Ça ne s’invente pas.
Je fais un statut Facebook rigolo : Attaque des Zombies sur le Métropolis: panne d’électricité totale. Rigolo? Elle a quelque chose de bizarre, cette panne. D’autres personnes arrivent, mais les gens de la sécurité leur demandent de patienter dans le hall. Tiens, Sylvain Cormier, du Devoir, arrive.
« Toi aussi, au « meet and greet »? Finalement, j’ai bien fait d’accepter. Il les vénère, Sylvain, ses Zombies que je crois disparus. Il pourrait bien se payer une syncope. Mieux vaut que je sois là. Au cas où…
Dix, 15, 20, 30 minutes s’écoulent… Le producteur Didier Morissonneau passe devant nous. Et puis? Personne ne comprend le pourquoi de la panne, mais l’inquiétude, c’est que même le générateur qui doit pallier à une panne ne marche pas. Comme si quelqu’un l’avait saboté. La conspiration se précise.
Une amie FB me demande ce qui ce passe. Je lui dis qu’il y a une vraie panne d’électricité à un show des vrais Zombies. Ça ne s’invente pas. Le scénariste qui aurait pensé à un truc pareil serait interné.

Colin Blunstone, une voix avec des airs de jeunesse. Photo courtoisie Montréal en lumière/Victor Diaz-Lamich
Pourtant, je me sens comme dans un film. À travers les portes vitrées qui donnent sur la salle, des lueurs fantomatiques apparaissent en raison des lampes de poche. Sinistre. On attend encore plusieurs minutes, mais finalement, on vient nous chercher pour nous mener en coulisses. Mais pas par le parterre. Par le sous-sol.
Dans les catacombes avec les Zombies
L’escalier qui mène aux vestiaires au sous-sol, éclairé par une petite lampe et deux iPhone, c’est un peu casse-gueule, mais au détour de l’entrée des vestiaires, il y a de la lumière. Cette fois, je me sens comme dans un épisode du Prisonnier, quand le numéro 6 revient à sa petite maison apaisante, seul lieu éclairé dans ces catacombes qu’est devenu le Métropolis.
Encore quelques minutes d’attente. Le bruit de génératrices et la clameur de la foule le confirment : l’électricité vient de revenir. Autre changement de direction. On nous escorte vers le haut, on traverse la salle, bifurque… Nous franchissons une autre porte et replongeons vers le bas dans un escalier de métal, comme si nous tentions d’échapper à des zombies dans un film de George Romero.
Ils sont là. Les vrais. Colin Blunstone et Rod Argent. Souriants, affables et discrets. Pas l’image de la rock star des années 1960 comme Mick Jagger ou Keith Moon. Souriants, mais peu bavards. Ils marchent lentement, comme s’ils étaient absents. Des morts-vivants? Non, non. Je déraille. Ah… Quelqu’un prend des photos. Il y aura des preuves matérielles.
On remonte. Je suis machinalement un homme en noir et je me retrouve à la première rangée du balcon, dans la zone où vont d’ordinaire les caméras et photographes. Sauf qu’il n’y a personne à part moi. Les lumières s’éteignent – volontairement cette fois – et Les Revenants montent sur scène. Ce ne sont pas les Zombies, les revenants? Non. Ceux-là sont québécois et leurs chansons mâtinées de trash-country-garage et autres composantes organiques nous font passer un bon moment.
Bien vivants
Les lumières se rallument. Sylvain Ménard, de 98,5, Tanya Lapointe, de Radio-Canada, et Richard Legault, de Montreal Concerts, arrivent. Bon. Tout est revenu à la normale. C’est moi qui rêve tout éveillé. C’est ce qui arrive quand tu travailles 175 heures en trois semaines. La fatigue fausse la perception.
Il est 21h17, on replonge dans le noir, sauf sur la scène, où les Zombies se pointent. La symbolique et puissante I Love You se fait entendre. Non, c’est moi qui ai raison, en définitive. Nous rêvons tout éveillés.
Blunstone ne peut chanter avec un registre si haut à 67 ans. Ça n’a aucun sens! Argent se transforme en dynamo et ses mains se déplacent à une vitesse folle sur ses claviers. Ce sont bien les deux mêmes types vus une heure plus tôt? Pas possible. On les a changés, ma parole. Comme s’ils étaient tous les deux revenus de l’au-delà.
Pourtant, vivants, ils sont. Il faut entendre la livraison de I Want You Back Again avec son solo de piano-jazz, comme les gars la jouaient dans le swinging London des années 1960. Épatant. On a eu droit à du Blunstone solo, comme sa formidable reprise de Jimmy Ruffin (What Becomes of the Brokenhearted) et à des nouveaux titres interprétés (Breathe Out Breathe In, Show Me the Way) qui s’insèrent parfaitement dans le corpus des Zombies d’antan. Mais nous n’étions pas venus pour ça.
Après qu’Argent eut mis en contexte la création de l’album Odessey and Oracle, les Zombies ont interprété près de la moitié de leur disque culte. A Rose For Emily, exquise, était nappée des claviers-clavecins d’Argent.
Care of Cell 44, la préférée de Dave Grohl, des Foo Fighthers, représente l’essence même des Zombies. Peut-être aussi parce qu’elle est la cousine des grandes chansons mélodiques des Beach Boys. Et la foule battait la mesure. Et This Will Be Our Year et I Want Her She Wants Me, cette dernière, irrésistible. Sur la sélection de chansons vue à un moment donné, il y avait aussi Beechwood Park, pas jouée. Dommage.
L’éternelle saison
Et puis, on a entendu le «Toum! Toum! Toum! Ahhhhhh!!» qui lance Time of the Season, comme on l’entend sur disque et sur les radios nostalgiques depuis trois ou quatre décennies. La voix de Blunstone parfaitement ajustée, les claviers de Rod comme sur le disque d’antan, la ligne de guitare à la bonne place. La perfection. Mais la perfection majorée, avec les solos étirés d’Argent qui nous ramènent à l’ère des Zombies psychédéliques.
Au parterre, des tas de spectateurs se lèvent et vont s’installer devant la scène pour danser. Mais… Mais… Oui. Ces spectateurs, une trentaine, sont tous – ou presque – dans la jeune vingtaine. Plus de doute. Nous sommes dans un film de Star Trek et Scotty vient de nous téléporter en 1969. L’image est surréaliste. Des jeunes qui dansent sur Time of the Season face aux Zombies en 2013. Mais sommes-nous en 2013?
L’ovation qui a suivi fut à la hauteur de la légendaire chanson. Pas une, pas deux, mais plus de trois minutes d’ovation dans le tapis. Les murs du Métropolis ont tremblé.
Moins connue, Whenever You’re Ready a néanmoins frappé dans le mille avec ses magnifiques harmonies et fut idéale pour mettre la table pour Tell Her No. Argent, avec une classe toute britannique, a rappelé au public qui l’ignorait peut-être que la version française de leur succès (Dis-lui non) avait été popularisée par Bruce Huard et les Sultans à qui il dédiait la chanson. Mais Huard, qui devait être présent, n’était pas dans la salle. Enlevé par des zombies?
Contrairement à Time of the Season, Tell Her No a été interprétée dans sa version originale, à la note près. Comment une chanson aux propos si tristes peut-elle être aussi belle? Le Métropolis a vibré tandis que la foule chantait les «No-no-no-no » à l’unisson. J’étais totalement en orbite.
Et tout le monde allait l’être quelques instants plus tard, quand Argent a déterré Hold Your Head Up, qui avait été composé par le Zombie Chris White, pour le groupe de Rod, bien nommé Argent. Enter Sandman n’aura pas fait plus d’effet. Chant fédérateur, claviers galvanisés, poings en l’air, rythmique béton, rock classique lourd. Ça a fait boum!

Des classiques qui n'ont, étonnament, rien perdu de leur portée universelle, connus même des jeunes générations. Photo courtoisie Montréal en lumière/Victoc Diaz-Lamich.
Fallait bien revenir aux sources. Au début. Au premier succès. À She’s Not There. La liesse, la félicité, la jouissance d’entendre ce tube que l’on faisait jouer, ados, dans des partys. Je n’ai pas de mots… Et on a eu droit aussitôt à Just Out of Reach, qui n’était pas sur la sélection prévue de chansons de la soirée. Épique.
Je n’étais plus tout à fait là quand les Zombies ont conclu avec Summertime, la première chanson qu’ils ont enregistrée. D’ailleurs, il n’y avait plus de collègues ni de caméras autour de moi. Aurais-je rêvé?
Non, dans le hall, j’ai croisé Cormier, avec les yeux rougis. L’accolade. Du concret. Nous avons donc bien vécu ce que nous avons vécu, non?
Je sais trop… Si cette soirée n’était pas qu’un fabuleux mirage, que fait ce 45 Tours de Tell Her No, pressage original britannique London UK, sur ma table ce matin?
The Night of the Zombies! ferait peut-être un bon scénario de film. Faut voir. Bon. Il est temps de laisser défiler le générique.
The Night of the Zombies
Avec: Colin Blunstone et Rod Argent.
Participation spéciale : Sylvain Cormier, Sylvain Ménard, Tanya Lapointe et Richard Legault.
Production : Didier Morissonneau et Montréal en lumière
Réalisation: The Zombies
Chansons et musique : Rod Argent, Colin Blunstone et Chris White
Texte et scénarisation : Philippe Rezzonico
Photographie : Victor Diaz-Lamich
Filmé en : Cinémascope