Trente moments pour 30 ans (26): pas de billet pour les Spice Girls (1998)

Les Spice Girls en 1998. Photo promotionnelle de l'époque

Les Spice Girls en 1998. Photo promotionnelle de l’époque

Dans notre métier, il y a des groupes ou artistes pour lesquels nous avons peu ou pas d’affinités, mais il ne faut jamais négliger leur potentiel quand vient le temps de faire un bon papier. C’était le cas pour les Spice Girls en 1998, alors que le groupe pop féminin s’apprêtait à entreprendre sa première tournée américaine.

Par Philippe Rezzonico

Si les ventes du premier disque ne suffisaient pas à m’en convaincre, un passage à Londres au printemps de cette année-là a effacé tous mes doutes. Les filles étaient partout, notamment à l’émission Top of the Pops, où elles avaient défoncé l’audimètre. Bref, pas de discussion. Il fallait couvrir le premier spectacle prévu en sol nord-américain, à West Palm Beach, avant que les girls arrivent à Montréal.

Sauf que ça, c’était mon opinion… On ne peut pas dire que mon patron par intérim à la section spectacle du Journal de Montréal à l’époque a sauté de joie quand je lui ai proposé d’aller en Floride pour faire état du phénomène. La pratique d’aller voir une grande tournée avant qu’elle ne se pointe au Québec – un exercice courant pour les grands quotidiens de Montréal dans les années 2000 – n’était pas justement pas si courante dans la décennie précédente.

Mon idée n’est pas rejetée d’emblée, mais ça discute, ça toupine… Quand, finalement, on me donne le feu vert, nous sommes à une semaine de la première. Je demande au bureau montréalais de EMI (le label des Spice Girls) de me réserver un billet à West Palm Beach et je vais voir la responsable des réservations de vols pour les membres de la salle de rédaction.

Montréal-Philadelphie-Miami

La tuile. Oui, il y a moyen de se rendre à West Palm Beach, mais plus sur un vol direct. Tout est complet. Ce sera un départ de Montréal, une correspondance à Philadelphie, une arrivée à Miami et l’obligation de louer une bagnole pour se rendre à West Palm Beach. Plus de huit heures pour un trajet pour qui en prend moins de quatre sur un vol direct. Tout ça, parce que quelqu’un n’a pas été assez vite sur la détente. Misère.

Je vous passe les détails – incluant le problème de location de l’auto à Miami -, mais ce trajet aura finalement pris neuf heures… Parti très tôt de Montréal, j’arrive au motel réservé à West Palm Beach en fin d’après-midi. Pas question de plonger dans la piscine. Une reconnaissance des lieux s’impose. Je prends l’auto en direction de l’amphithéâtre extérieur Coral Sky, je note la distance et je chronomètre le temps que ça me prend. Pourquoi? Parce que je ne suis pas sûr de trouver une ligne téléphonique pour transmettre mon texte du site le lendemain soir (nous sommes en 1998, rappelez-vous) et qu’il est plus que probable que je doive revenir au motel pour transmettre mon histoire.

Le lendemain, j’arrive deux bonnes heures avant le début du spectacle. Je me présente au Will Call afin de récupérer mon billet. Trois vérifications plus tard (billets réguliers, billets de presse, billets V.I.P.), il n’y a aucun doute : pas de billet pour les Spice Girls. Quelqu’un n’a pas fait son travail.

Je demande à voir le responsable du site et le représentant local de EMI. Pas arrivés ni l’un, ni l’autre. Je respire et je vais à la rencontre de la foule qui arrive en grand nombre. Pour le papier d’ambiance. Papier que j’écris assis dans mon auto transformée en fournaise par le soleil tapant. Opération réglée en une heure.

Retour à la billetterie ou tout le monde est présent. J’explique mon histoire au représentant de la compagnie de disques qui est évidemment bien embêté. Avec mon ordi, mon passeport canadien et mon accent, il sait que je n’invente rien. Le hic, c’est que le spectacle affiche complet. Le Coray Sky est un amphithéâtre extérieur dont un tiers de l’espace est recouvert et le reste des sièges sont à ciel ouvert.

Dans les faits, si personne ne déniche un billet, il me reste l’option des revendeurs. J’ai pas mal de liquide sur moi. Il est absolument hors de question que je n’assiste pas à ce spectacle. Des milliers de dollars ont été dépensés pour que je sois ici et un pupitre attend mon histoire. Mais je ne dois pas attendre trop longtemps avant d’aller vérifier l’état du marché. Si je mise sur la gentillesse apparente du représentant et que je me goure, je suis cuit s’il me dit qu’il ne peut m’aider une dizaine de minutes avant l’entrée sur scène des Spice Girls, qui sont désormais quatre. Geri Halliwell (Ginger) a quitté depuis quelques mois.

Vu qu’il me reste une heure, je joue mon va-tout. En prenant mon air le plus détaché, mon sourire le plus cool, et aucune once d’arrogance dans le ton, je dis au représentant : « Écoutez, j’ai fait plus 1700 milles pour être ici. Mon patron a dépensé des centaines de dollars et mon pupitre attend ma critique. Donc, que ce soit avec un billet offert par le site, le promoteur, la maison de disque ou acheté d’un revendeur, nous savons tous deux que je vais assister à ce spectacle. Même si je dois sauter par-dessus la clôture. Ça serait bien que ça se règle entre nous, non? »

Il me renvoie mon sourire, pige dans une pile de billet et m’en donne un. Je le remercie et je vais m’installer à mon siège. Quelques minutes plus tard, la journaliste d’Associated Press se pointe. On se présente, on jase et elle me dit qu’il y a une ligne téléphonique dans un petit local sur le site, mais je lui fais remarquer qu’on ne peut transmettre tous deux en même temps. Mon Plan B fera l’affaire. Soi dit en passant, les trois sièges à ma gauche sont demeurés libres. À West Palm Beach comme à Montréal, il y a plein d’invités et de « journalistes » qui ne se présentent pas après avoir réservé à un spectacle…

Le show se déroule sans anicroches, je quitte sur la dernière chanson, récupère ma bagnole que j’ai volontairement laissé près de l’entrée pour sortir plus vite et je me pointe au motel exactement une heure avant ma tombée. Comme mon texte d’ambiance et déjà écrit, c’est un jeu d’enfant que d’envoyer le tout un bon quart d’heure avant l’heure limite. Boulot réglé.

Le lendemain, je refais le périple débile dans l’autre sens. Le surlendemain, je suis de retour au bureau où pas mal de collègues me parlent de mon texte. Généralement, c’est un bon indicateur quant à savoir si l’histoire a eu un certain impact sur le public. On ne peut pas mesurer en clics (1998, toujours…). Mais deux jours plus tard, je vais au cinoche avec mon amie de longue date et collègue Pascale Routhier, du réseau TVA, dont une partie du travail consiste à écouter tout ce qui se dit aux nouvelles le matin.

Je souligne : « J’ai l’impression que cette couverture a eu un certain succès. Il y en aura peut-être d’autres (des dizaines, en fait) ».

Elle me répond : « Philippe, ton nom a été prononcé plus souvent sur toutes les radios et toutes les chaines de télévision du Québec ce matin-là, que celui du premier ministre Jean Chrétien ».

Je pense que j’en dois une aux Spice Girls.

27 – Freddy est un fieffé imbécile (2001)

28 – Bordel à la fête nationale (1999)

29 – Spectacle pour un homme – presque – seul (2004)

30 – Bagarre au Spectrum (1993)

Les raisons derrière le Trente moments pour 30 ans