J’aime rigoler. J’ai un rire assez particulier, dit-on. Les collègues de La Presse canadienne sont probablement ceux qui l’ont entendu le plus souvent en 30 ans. Et j’adore pas mal tous les genres d’humour. Mais parfois, certaines comédies provoquent l’effet inverse de celui escompté. Freddy Got Fingered est du nombre.
Par Philippe Rezzonico
La « comédie » hollywoodienne a été produite, scénarisée et réalisée par Tom Green en 2001, quand il était en couple avec Drew Barrymore, qui avait d’ailleurs un rôle dans le film. Green s’était décerné le rôle-titre, celui de Freddy, un jeune homme dont le quotient intellectuel est inférieur à celui du taux d’alcoolémie (0,05) toléré sur nos routes. On imagine que personne d’autre que lui n’aurait voulu le camper.
À l’époque, j’avais vu le film à Los Angeles pour le compte du Journal de Montréal lors des rencontres de presse entre médias, acteurs et producteurs d’Hollywood. Ce que l’on nomme familièrement un junket.
D’ordinaire, les journalistes voient le film en début de soirée le jour de leur arrivée et ils rencontrent les acteurs, réalisateurs et producteurs, le lendemain matin, lors de tables rondes.
Ce soir-là, la navette nous a amené de l’hôtel à la salle de cinéma retenue, comme d’habitude. En sortant après 88 minutes de projection, notre petit groupe retourne dans le minibus. Assis dans mon siège, je regarde devant moi sans mot dire, quand un collègue américain me demande, avec un grand sourire, ce que je pensais du film.
« This is the worst piece of shit that I ever see, heard or attend to in my whole life », ai-je répondu. Je reproduis en anglais, c’est plus percutant ainsi. Fâché? Furieux, étais-je. Je ne me souviens pas d’avoir vu une « œuvre » culturelle qui m’ait autant mis en pétard, d’où ma réponse qui englobait musique, cinéma, humour, etc. Toute la culture, quoi.
Le collègue et ami Bruce Kirkland du Toronto Sun, s’amusait quelque peu de ma réaction. Il était d’accord qu’il s’agissait d’un film merdique, mais il était étonné que ça me fâche à ce point. Le hic, c’est que je n’avais pas décoléré le lendemain au moment des face-à-face.
Le hasard a fait que j’ai pris place presque directement en face de la chaise réservée au « talent » ce matin-là. Quand Green s’est présenté devant nous, nous étions presque les yeux dans les yeux. À entendre ses réponses franchement imbéciles à la suite des questions des collègues, je crois que j’étais encore plus en rogne que lors de la projection du film. Il fallait le faire…
Pas question de l’étaler publiquement, toutefois. J’ai toujours respecté mes employeurs et la tâche liée à mes fonctions. Mais rendu là, il était évident que je n’adresserais pas la parole à Green comme je l’avais fait avec les autres intervenants de la production. L’enregistreuse était en marche pour faire le boulot, mais j’avais quand même le regard dur et le visage de marbre. Le regard de Green a fini par croiser le mien alors qu’une question lui était posée.
J’ai craint une seconde qu’il me dise un truc comme : « Dis-donc, ça ne va pas? », ce qui aurait mené à une spectaculaire réplique de ma part. Mais il a lu dans mes yeux tout le mépris et la colère du monde, au point que son sourire c’est effacé aussitôt et qu’il a détourné le regard. Excellente idée. Pas d’incident.
La semaine suivante, de retour à Montréal, j’ai écrit les textes qui précèdent la sortie du film sans aucun parti-pris. Professionnel jusqu’au bout. Mais l’autre semaine, quand est venu le temps d’écrire la critique à paraître le 21 avril 2001 et de dire ce que je pensais du film, je me suis royalement payé la traite.
« Incommensurable navet », « abyssale imbécilité », « stratosphérique connerie », « production abominable », « dégueulasse entreprise » et « atrocité innommable » étaient au nombre des qualificatifs employés pour décrire ce film qui tentait de faire rire en mélangeant sexe et animaux, sexe et nouveau-né… Bref, vous avez saisi.
Tom Green avait, selon moi, repoussé les normes de la « comédie » au niveau des oubliettes les plus infectes qui soit. Le verdict lapidaire était proportionnel au niveau de bêtise.
C’était la première fois que je donnais « 0 » étoile à un film… (en fait, 0, 01… histoire simplement de souligner qu’une entité nommée « film » existait dans l’absolu). Et ce fut la dernière fois. Ceux qui disent que les journalistes épargnent les studios de cinéma quand ils nous logent dans de beaux hôtels peuvent aller se rhabiller. Quand c’est pourri, on crucifie.
À ce sujet, les Razzies (l’équivalent des Oscars en version pire films) ont couronné cinq fois plutôt qu’une en 2002 cette infamie pelliculaire : pire film, pire scénario, pire réalisateur, pire acteur et pire couple à l’écran, pour Green et tout animal dont il abusait dans le film.
Cela dit, avec le recul, c’est quand même stupéfiant de constater qu’une « comédie » m’aura mis le feu au derrière à ce point. Tom Green aura réussi l’impossible : me fâcher lors d’un visionnement et faire la démonstration que la définition de l’humour est très relative.
Comme j’écrivais : « Si vous allez voir ce film, c’est à vos risques et périls. Ceci est notre contribution à l’humanité et à la salubrité publique du grand écran. »
Il n’y a pas que de bons moments dans le boulot….
Trente moments pour 30 ans (27) : Freddy est un fieffé imbécile
Acteur : Tom Green
Date : avril 2001
Lieu : Los Angeles
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28 – Bordel à la fête nationale (1999)
29 – Spectacle pour un homme – presque – seul (2004)
30 – Bagarre au Spectrum (1993)
Les raisons derrière le Trente moments pour 30 ans