Vagabondages en lumière

Le site de Montréal en lumière 2012. A des années-lumières des débuts. Photo courtoisie Montréal en lumière/Jean-François Leblanc.

The Lady is a Tramp, chantait le Rat Pack dans le temps. Hommes, femmes, enfants, Belges, musique, frites et chocolat : le week-end, en effet, était propice aux vagabondages de toutes sortes lors du festival Montréal en lumière. État des lieux.

Par Philippe Rezzonico

Je suis bien resté immobile deux minutes, vendredi, histoire de prendre le temps d’admirer le site extérieur du festival MEL et de faire le lien avec le passé. Il y a 13 ans, lors de la première édition, il y avait une grosse boule qui ne servait pas à grand-chose sur l’esplanade de la PdA, une glissade faite de neige naturelle, un froid de canard et 37 personnes se demandant ce qu’elles faisaient là.

En fin de semaine, des milliers de festivaliers ont profité de la glissade érigée sur l’esplanade et du mercure doux (résultante de nos hivers cléments), de spectacles en plein air, de l’animation de DJ, d’une grande roue, de kiosques de bouffe et d’alcool et de spectacles de toutes sortes (Jali, La Bottine souriante). Le site du festival n’a jamais été mieux servi que cette année, depuis que les travaux touchant la place des festivals et cette portion du quartier des spectacles sont terminés.

La Belgique de Jali

On pouvait donc prendre un petit porto en regardant Jali, l’un des nombreux Belges au programme de cette édition jumelée tous azimuts avec le plat pays. Ça faisait très cosmopolite de voir et d’entendre un Belge de race noire chanter Mon Paris en remplaçant le nom de la Ville-lumière par celui de Montréal.

Excellent joueur de guitare acoustique, le jeune Belge a un charisme certain, un sourire engageant et les défauts de certains artistes d’Europe qui débarquent chez nous la première fois, à savoir, une façon un peu colonialiste de s’exprimer. Oui, on connaît Renaud ici aussi… On allait même le voir en spectacle avant que tu sois né. Cela dit, bonne version de Manu.

Même chose pour 21 Grammes ou Espanola, qui fait figure de carte de visite pour le jeune artiste qui m’a tellement rappelé Tété, plus dans la forme que dans le ton. Bonne première impression et retour assuré sous peu.

A L’Astral, on a accroché les deux dernières chansons de Hôtel Morphée avant de déguster le plat principal, à savoir, l’intégrale du disque The Tragic Tale of a Genius, du groupe My Little Cheap Dictaphone. Belges, eux aussi, mais s’exprimant musicalement en anglais.

Les influences de MLCD

Avec des images défilant en permanence derrière eux qui évoquaient autant Vertigo, de Hitchock, que la série télévisée Au cœur du temps, le groupe a offert une performance multidisciplinaire bien huilée.

My Little Cheap Dictaphone: cinéma musical. Photo courtoisie Montréal en lumière/Victor Diaz-Lamich.

Un chanteur avec du chien, de bonnes chansons, une solide instrumentation… Ça faisait plus d’une demi-heure que ça durait, mais je n’arrivais pas à comprendre pourquoi j’avais l’impression d’avoir déjà vu ce spectacle alors que je voyais My Little Cheap Dictaphone sur les planches pour une toute première fois.

Et soudain – comme pour le festival –, la lumière fut !

La voix du chanteur durant What Are You Waiting For?, reposant sur cette charpente sonore, c’est comme entendre Chris Martin et Coldplay. On pourrait presque dire la même chose pour My Holy Grail, quoique là, on verse plus dans le U2 rayon ambiances et percussions. Et quant à He’s Not There, la complémentarité des arrangements entre les cordes et la section rythmique fait penser d’emblée à Arcade Fire, d’autant plus vrai que la bagnole que l’on voit dans les clips est un calque de celle qui est représentée sur la pochette de The Suburbs.

Orchestré avec goût, bien maîtrisé, The Tragic Tale of a Genius et son aspect cinématographique valent franchement le détour, mais la somme des influences de MLCD dans ce projet est telle que n’importe qui possédant des références musicale de la plus récente décennie est sorti de L’Astral avec une impression de déjà vu.

Frites, gaufres et alcool

Mise en garde à tous ceux qui se présentant sur le site. Il y a un terrain miné tout près du Balmoral, du moins, pour ceux qui s’inquiètent de leur tour de taille. La baraque à frites – belges, ça va de soi -, le stand à gaufres – belges, bien sûr – et la maison du chocolat de Wallonie-Bruxelles – forcément belge -, c’est dangereux et très goûteux. Faut quand même être prêt à attendre plus d’une demi-heure pour se faire servir des gaufres ou des frites, mais ça nous change drôlement des hot-dogs.

A théâtre Maisonneuve, samedi, c’était plutôt l’alcool qui était à l’honneur. Ça va de soi, quand tu vas voir un spectacle intitulé The Rat Pack is Back.

Directement venu de Vegas, cette production est essentiellement l’équivalent d’un Elvis Story pour ceux qui ont animé les nuits de la ville du jeu au début des années soixante : Frank Sinatra, Dean Martin et Sammy Davis jr.

Sammy, Frank et Dino: vino, clopes, tuxedos et musique cool. Photo courtoisie Montréal en lumière/Jean-François Leblanc

Comme toujours, l’intérêt est d’entendre des chansons immortelles dans le contexte d’antan et de mesurer si ceux qui personnifient Frank, Dino, Sammy et le boutre-en-train Joey Bishop tiennent la route.

Vocalement, Sinatra (Brian Duprey) est impeccable. Fly Me to the Moon, I’ve Got the World On a String et I Got a Kick Out of You étaient dotées d’un phrasé et d’un timbre impeccable. Moins vrai pour My Way, au rappel, qui ne figurait évidemment pas dans le spectacle original présenté au Sands, en 1960. Pas plus que New York New York. Mais difficile de faire impasse sur ces deux immortelles. Au rappel, elles étaient bien logées.

Drew Anthony (Dean Martin) était un petit cran en dessous du Chairman of the board, mais les inflexions vocales étaient à la bonne place (Volare, Sway, That’s Amore) et la gestuelle était parfaite, notamment cette façon nonchalante de tenir verre de scotch et cigarette.

Pour Sammy (Kenny Jones) : deux ou trois problèmes… Trop grand, pas de voix dans les basses et au plan de la physionomie, de loin celui qui était le plus éloigné du modèle original. Il a fait la job pour Old Black Magic et What Kind of Fool I Am, mais tout juste. A l’inverse, Mickey Joseph était formidable dans le rôle de Joey Bishop avec ses vielles blagues éculées et racistes envers tout ce qui bouge.

Si ce spectacle doit reprendre l’affiche cet été à Montréal, on propose ceci : pas d’entracte. Les shows de Vegas de toutes époques ont été conçus pour durer grosso modo 90 minutes. Il faut laisser aux gens le temps de perdre leur argent au Casino…

Or, quand tu reproduis presque à la lettre ce show de 1960 que tu scindes en deux, tu te prives de Sinatra dans la première portion – sauf pour le numéro d’ouverture – et tu torpilles ton crescendo. Pas bon. La seconde portion, où tous partagent en duo et trios les numéros burlesques et les Luck Be a Lady, Sam’s Song, The Lady is a Tramp et autres Birth of the Blues est supérieure, et surtout, plus rassembleuse.

Et c’est le genre de spectacle qui donne soif (de voir ce bar à roulettes sur scène…). Mais on se disait qu’allait bien trouver quelque chose à boire sur le site après coup.