Voir U2 au pays du Soleil levant

IMG_0650TOKYO – À bien des égards, il n’y a rien qui ressemble plus à un kiosque de souvenirs d’un concert rock qu’un autre kiosque à souvenirs d’un autre concert rock. Pourtant, celui que j’ai eu devant les yeux le 4 décembre était quelque peu différent.

Par Philippe Rezzonico

Combien les t-shirts? Quatre mille cinq cents! Des yens, bien sûr. Ça fait combien au taux de change? Environ 56 ou 57 dollars canadiens. Ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère, dis donc… Mais l’autre aspect particulier, c’est que tout le monde payait en liquide.

Depuis cinq jours en ville, j’avais pu constater à quel point il était vrai que des centaines de petits commerces japonais n’acceptent pas les cartes de crédit. Mais si j’avais eu à parier qu’un seul événement allait les accepter avec certitude, j’aurais mis mon fric sur les deux soirées de concerts de U2 à Tokyo. Hé non… Au Japon, il faut faire comme les Japonais. Il fallait voir les milliers de liasses de yens échangées.

Le Saitama Super Arena, qui est en réalité un stade couvert qui ressemble à s’y méprendre à celui de Paris La Défense à l’intérieur, est situé à une trentaine de minutes de train de la gare centrale de Tokyo. Dans les faits, à 35 kilomètres. Plus du double de la distance comprise entre le Centre Bell et la Place Bell. Pas à la porte, donc, mais les transports en commun japonais rivalisant avec ceux de la Suisse, rayon horaires et fiabilités, et ça se négocie comme un charme.

C’était un peu plus chaotique dans la file d’attente pour accéder au parterre. Disciplinés et policés, les Japonais ont mis en place un système qui ne convient guère aux hordes de touristes occidentaux qui avaient acheté les billets numérotés de parterre par l’entremise du fan-club des Irlandais.

Les Nations unies

Demander aux Américains, Anglais, Mexicains – en très grand nombre -, Italiens, Irlandais, Espagnols, Écossais, Français et la seule Russe de Vladivostok que je verrai dans ma vie de faire une file bien alignée n’est pas une sinécure. Bref, nous étions encore en train de faire la queue à 18h20 quand quelqu’un a plus ou moins décidé de faire entrer les groupes de 1 à 200, 201 à 400, 401 à 600 en ordre plus ou moins ordonné.

Ayant vu la première mouture de cette tournée 30e anniversaire de l’album The Joshua Tree en 2017 à Chicago dans les gradins du Soldier Field, j’ai privilégié cette fois le devant de la scène principale. Bilan : situé à 12 pieds de ladite scène, exactement entre les micros de Bono et The Edge. Du calibre de la vue que j’avais au parterre au 3Arena à Dublin en novembre 2018 pour la tournée Experience. Pas mal du tout…

U2 n’avait pas mis les pieds à Tokyo depuis exactement 13 ans le soir du premier spectacle. Vous avez donc une idée du volume de décibels qui ont résonné dans l’aréna lors les lumières se sont éteintes et quand la frappe nette de Larry Mullen jr. a donné le coup d’envoi à Sunday Bloody Sunday.

Ce fut même plus frénétique pour l’enchaînement avec I Will Follow, lorsque Bono a lancé : « Tokyo! Are you with us?! » pendant que The Edge amorçait la légendaire intro à la guitare. On entend la clameur de la foule sur la vidéo. Ce fut comme une rampe de lancement pour des milliers de spectateurs. La frénésie totale.

L’enchaînement avec New Year’s Day et son pont musical quelque peu modifié depuis deux tournées, Bad et Pride (In the Name of Love) a ensuite tout emporté. En 2017, U2 proposait Sunday Bloody Sunday et ce trio en ouverture. Cette fois, ils ont ajouté I Will Follow – décalée chronologiquement en étant jouée en deuxième position -, mais qui complète à merveille ce qu’il convient de désigner comme étant le meilleur début de concert de l’histoire de U2.

Pensez-y… Cinq chansons de « rappel » en ouverture.

IMG_0772Et le deuxième soir, alternance de I Will Follow avec une furieuse Gloria. Cette fois placé devant la petite scène – à cinq pieds de la rampe et presque à portée de main de Bono et The Edge -, les Occidentaux, on a bien failli être emportés par les jeunes Japonais qui nous poussaient dans le dos. Je n’ai pas le souvenir d’avoir dû me servir de mon physique pour repousser du monde depuis le parterre au CEPSUM pour The Offspring, en 1995.

Très fougueux et un peu violent, il faut admettre, mais avec Steve, un Californien plus grand que moi, et Connor, un Écossais de plus de six pieds, nous étions pas mal trop lourds pour le Japonais moyen qui n’est ni gros ni grand.

Comme d’habitude, l’écoute de The Joshua Tree en séquence – qui commence après l’apparition de l’arbre avec les gars de U2 en dessous – s’est révélée délectable au plus haut point. Le premier soir, avec les images gigantesques en pleine poire. Le second, avec une perspective d’ensemble parfaite, quelque peu en retrait.

IMG_0777La route qui défile à l’infini durant Where the Streets Have No Name, la forêt d’arbres pendant I Still Haven’t Found What I’m Looking For, les paysages montagneux somptueux de With Or Without You et les personnages qui défilent coiffés du casque militaire de la période War pendant Bullet the Blue Sky sont autant des tableaux visuels que musicaux.

Running to Stand Still, qui s’avère le premier moment calme de la soirée, est suivie par Red Hill Mining Town avec, sur écran, l’ensemble musical de l’Armée du salut. Géant. In God’s Country a révélé un immense Joshua Tree multicolore, tandis que Trip Through Your Wires nous rappelle chaque fois à quel point cette chanson est un joyau pour apprécier le travail de The Edge.

One Tree Hill offre un autre moment à mi-chemin entre le contemplatif – au début – et l’exubérance – à la fin, avant qu’Exit ne se révèle comme en 2017 la bombe inattendue de la soirée avec son amorce placide et sa finale apocalyptique.

Après la finale émotive de Mothers of the Disappered, U2 se rend au rappel dans la continuité, en interprétant d’un concert à l’autre la toujours séduisante Angel of Harlem ou l’abrasive Desire – toutes deux, de Rattle and Hum – sur la petite scène.

Je ne sais combien de fois j’ai entendu des amateurs de la première heure de U2 dire qu’ils avaient quitté le train après les virages musicaux et stylistiques du groupe dans les années 1990. Cette tournée était pour eux : 17 chansons consécutives tirées uniquement des répertoires des années 1980! Le truc impensable.

Rappel dynamité

La tournée JT 2017 proposait au rappel Elevation, Beautiful Day, Ultraviolet (Light My Way), One, Miss Sarajevo et la nouvelle chanson The Little Things That Give You Away. Bel équilibre entre l’émotif et le trépidant.

Cette fois, les Irlandais ont fait encore plus fort.

Rien de moins qu’une ouverture atomique avec le trio formé de Elevation, Vertigo et Even Better Than the Real Thing, un peu comme si U2 avait voulu conclure avec la même puissance qu’il avait ouvert le feu en ouverture.

Les versions acoustiques de Every Breaking Wave ou The Best Thing About Me (en alternance) ont suivi, avant une clôture formée de Beautiful Day, Ultraviolet – dédiée aux femmes marquantes du dernier siècle -, la rassembleuse Love is Bigger Than Anything In It’s Way et One.

Non, les boys n’ont pas joué 40 comme le réclamaient quelques centaines de spectateurs, mais tout le monde avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles en sortant de l’aréna ou Occidentaux et Asiatiques, en sueur, en faisaient plus qu’un.

Et tous se sont probablement dit qu’ils venaient d’assister aux concerts de U2 avec la sélection de chansons du groupe la plus fabuleuse qui soit.

Ça valait vachement la peine de faire – littéralement – le tour du monde pour assister à ça.