
Peu importe la longévité d’une carrière, aucun artiste n’oublie ses influences comme l’a démontré Sheryl Crow, vendredi soir, lors de cette première soirée du festival Lasso 2025.
Par Philippe Rezzonico
Au moment où elle prenait place sur la scène devant des dizaines de milliers de spectateurs, on entendait à plein tubes Start Me Up, des Rolling Stones.
Tout le monde d’un certain âge connaît le lien qui unit l’Américaine aux Stones, particulièrement à Keith Richards. Il fallait la voir appliquer ses riffs sur sa guitare et jouer de l’harmonica durant Real Gone, le premier geste étant presque un calque parfait de Keef, le second, à si méprendre similaire à la manière de manipuler le petit instrument que Mick Jagger.
Ceux qui la suivent depuis ses débuts le savent bien. Les plus jeunes, qui n’étaient pas nés quand elle s’est produite une première fois à Montréal en 1993, comme elle l’a souligné, l’ont peut-être deviné dès l’ouverture avec Steve McQueen et la bagnole volante sur les écrans.

C’était grinçant pas à peu près comme mise en bouche, mais pas autant que A Change Would Do You Good avec la succession de dizaines de visage de tous âges et de toutes races derrière elle. La tonalité de la guitare acoustique de Crow était tranchante, pendant que les six cordes électriques de ses musiciens n’étaient rien de moins qu’abrasives. Un peu comme si la Sheryl avait trempé ses sonorités dans le grunge, époque durant laquelle elle s’est fait un nom avec une musique qui n’avait rien à voir avec celle de Kurt Cobain et de ses contemporains.
Debout, penchée ou assise sur la scène, Crow manipule toutes les guitares : acoustiques, électrique et même la basse pour My Favorite Mistake. Sa voix tient encore fort bien la route comme nous l’avons tous mesuré lors de l’interprétation de If It Makes You Happy. Sa prend de la puissance pour chanter encore dans un registre aussi haut dans la soixantaine.

Et elle n’est pas sur le pilote automatique. Tous ces concerts sont différents, au point qu’elle peut en amorcer ou en conclure un avec la même chanson. S’il y a toujours un nombre considérable de chansons qui ont bâti sa carrière, elle adore offrir en alternance des raretés qu’elle n’interprète plus autant. Vendredi, la surprise était Strong Enough, tirée de son légendaire Tuesday Night Music Club (1993). D’où le titre clin d’oeil qui chapeaute ce texte.
Si cela a plu aux vieux férus d’histoire dans mon genre, cela a laissé indifférent la jeune femme au tournant de la trentaine à côté de moi. En revanche, cette dernière chantait par cœur les paroles d’une impeccable version de Soaked Up the Sun quelques minutes plus tard, preuve supplémentaire que Crow a su plaire à plusieurs générations en plus de trente ans de carrière.

Bien sûr, All I Wanna Do a fait l’unanimité, toutes générations confondues. Tout le monde veut avoir du plaisir dans la vie. Crow a terminé en force avec peut-être la version la plus incendiaire et dynamitée jamais entendue de Everyday is A Winding Road. C’était décapant au possible. Seulement 11 chansons en une heure. On en aurait pris plus.
Mais bon, au volant, sur le chemin du retour, je me suis souvenu d’avoir roulé il y a environ une décennie sur le boulevard Santa Monica, à LA, toutes fenêtres ouvertes sous un soleil de plomb, avec All I Wanna Do dans les haut-parleurs. Pensait pas qu’un passage au festival Lasso en 2025 allait ramener un si bon souvenir de voyage.
Intemporelle Willow Avalon
Si on parle à juste titre de New country de nos jours, force est d’admettre qu’une foule de jeunes artistes perpétuent l’héritage du passé. Peu le font comme Willow Avalon.

Avec son look country rétro digne des années 1950, la jeune femme offre des chansons avec des constats existentiels – Gettin’ Rich, Going Broke, Tequilla or Whiskey – qui sont intemporels comme elle. Très joli.
Fougueuse Chloé Leclerc
Le festival Lasso a fait la part belle aux artistes francophones de chez nous sur la scène Sirius XM. Du nombre, Chloé Leclerc ne cachait pas son plaisir quelque six mois après la parution de son premier disque, Défaire les noeuds.

En une demi-heure, elle a démontré qu’elle était aussi expressive sur les planches qu’elle peut l’être en entrevue avec le collègue Sylvain Cormier, du Devoir.
Assurée, assumée et espiègle tout à la fois, elle nous a notamment entretenu de sa sœur (Nous deux), présenté un bout de la Rive-Sud (Les mêmes trottoirs), mis à la porte son ex (J’te pointe la porte) et offert une impeccable interprétation de Mille après mille, démontrant aussi son attachement aux racines country de chez nous.

Le tout, alors que nous nous sentions comme dans une poêle à frire, tellement le soleil tapait fort, mais personne n’a quitté le devant de la scène. J’ignore si elle ira loin, mais elle y va à fond de train.
Le party avec Savannah Jade
Parlant de Québécoises, Savannah Jade avait droit à la splendide scène du ranch.

Après avoir proposé une poignée de ses titres vibrants – notamment la pimpante Oops, I Think I Love You qui nous ramène à la Shania Twain des débuts avec Whose Bed Are Your Boots Been Under -, la jeune femme a aligné un pot pas pourri du tout de tubes archis connus, entre autres sa reprise d’Alanis Morrissette (You Outta Know), ainsi que Bitch (Meredith Brooks), Just a Girl (No Doubt) et tutti quantti. Disons que le party était sérieusement pris.
Mature Wyatt Flores
Il y a des artistes qui semblent bien plus vieux que leur âge. C’est le cas de Wyatt Flores, qui n’a que 24 ans, mais dont la prestation offerte était digne d’un artiste bien plus âgé.
Peut-être est-ce dû à la riche instrumentation de ses compositions. Il y a quelque chose qui «sonne» comme l’appellation «country vintage» dès la première écoute. Il désire aussi interpréter des chansons significatives. Son interprétation de How To Save a Life (The Fray) a sérieusement fait mouche.

Shaboozey, prise 2
Il y a deux semaines au festival Osheaga, Shaboozey n’a rien de moins que triomphé. Pour son retour à Lasso, nous étions dans les mêmes eaux. Pratiquement le même ordre de chansons et une finale à rallonge avec Bar Song (Tipsy).

Sauf que cette fois, il avait prévenu la foule qu’il allait la faire plus d’une fois. Le sourire et le plaisir étaient aussi évident, mais il n’y avait pas cette spontanéité, cet abandon vu deux semaines plus tard. Entendons-nous, personne n’a été perdant vendredi, mais le moment historique dont on parlera encore dans dix ans, ça sera celui d’Osheaga.
Explosif Bailey Zimmerman
Après la prestation électrisante de Sheryl Crow, je m’étais bien dit que j’allais prendre un trio de chansons de Bailey Zimmerman – rien à voir avec Robert Zimmerman, mieux connu sous le nom de Bob Dylan – pour la route.
Lui, il fait dans le new country, dans la mesure où les bases sont là, mais dans une mouture parfois dynamitée qui est nettement plus rock que country. N’empêche, son entrée en scène – ou plutôt, au-dessus de la scène – avait du panache, lui qui est arrivé au bout de son lasso pour New To Country.

Dans le temps de le dire, le jeune homme était torse nu, au plus grand plaisir de ses admiratrices. Et il n’a pas ménagé la gomme par la suite. J’ai finalement écouté une demi-douzaine de chansons – le double que j’avais prévu – avant de le laisser à son jeune public. Moi, j’étais déjà dans ma tête au volant de ma bagnole sur le boulevard Santa Monica.